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correspondance des Goll
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5 décembre 2008

correspondance de 1925 à 1934

                                                           1925

début janvier 1925, Rainer-Maria Rilke est à Paris, Hôtel Foyot

pneumatique écrit en français de Rainer-Maria Rilke  (Paris) 25/2/1925 à Liliane (Claire)

                                                           Paris, 25/2/1925

                                                                ce mercredi matin

Enfin, je vois un peu plus clair dans la disposition difficile de mon temps, j'ai dû combattre pour garder  libre l'après-midi de demain, jeudi, à partir de cinq heures.

  Voudras-tu me le rendre familier en me donnant cette heure tranquille que je désire depuis des semaines ?

  S'il n'y a pas de réponse, j'admets que tu m'attends.

                                               Au revoir, Liliane

                                                           enfin  !

                                                                       Rainer.

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.92/93

pneumatique écrit en français Rainer-Maria Rilke  (Paris) 26/2/1925 à Liliane (Claire)

                                                           ce même jeudi, 4  h.  10

Dommage,

                 Liliane,

                            et tu ne t'es pas fait bander les yeux pour me trouver au « Luxembourg »  ?

  S'il ne m'arrive pas de contretemps, d'ailleurs, ou du côté de ma santé, je te prie de m'attendre, samedi, chez toi.

Samedi après-midi. Cela te convient-il ? Je me réjouis de te revoir.

                                                                                              Rainer

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.93/94

lettre de Liliane (Claire, traduite de l'allemand par elle) Paris à Rainer-Maria Rilke

                                                                                               Paris, Avril 1925

            Maintenant j'ai déjà vécu quatre semaines depuis notre rencontre,

Rainer.

            On s'enrichit tant à te regarder et encore davantage à t'entendre. Et je me suis forcée à me taire, quoique mes sentiments pour toi prennent l'allure d'un Niagara. A présent je ne peux plus longtemps ériger un barrage, mais ne t'effraie pas :  ce n'est pas une chute bruyante, déchaînée, mais tendre et sauvage, que je n'arrive plus à dompter.

            Le printemps et toi sont à Paris ! Je longe les rues, par lesquelles tu as peut-être marché. Je cueille au Luxembourg les boutons et les regards que tu as peut-être frôlés. Mais je languis tant après ta voix, ta voix magnifique, qui fait de la musique avec les pétales de roses. Lorsque je pense à toi, je rougis comme elles, elles que tu as inventées, car avant toi elles n'existaient pas.

            Ah, sois généreux, viens, apporte-moi pour une heure seulement ta main, afin que je puisse l'adorer. Car pour t'admirer, il me faudrait toute une vie.

Tu le sais bien que depuis huit ans je n'ai pas encore osé savoir si tu es Rilke ou le bon Dieu. Et pardonne-moi de t'aimer sans limites !

                                                                       Liliane

lettre de Rainer-Maria Rilke  (Hôtel Foyot, 31 rue de Tournon, Paris) 29/6/1925 à Liliane

Liliane

à traduire elle est dans mes dossiers

Ceux qui viennent n°4 - juillet/août 1925

"Ivan Goll habite à Passy,  rue Jasmin...Dans le petit salon où flamboient quelques Picasso,  Gleizes et Delaunay,  un fort beau chat siamois saute sur mes genoux. C'est un rugbyman convaincu qui passe ses dimanches a s'entraîner avec un petit ballon. "Vrai sportif de la jungle" me dit Goll.

“ La fonction de la poésie aujourd'hui ? 

— Le revirement a pris naissance vers 1910-12. Ce fût une véritable révolution...De là datent les "ismes":  cubisme en France,  futurisme en Italie,  expressionnisme en Allemagne. Grande divergence de forme dans ces écoles,  mais bien des traits communs:  l'amour de la vie,  de l'activité nouvelle et ce je ne sais quoi poétique qui est un parallèle du mouvement plus rapide de notre existence. C'est Picasso,  Delaunay,  Cendrars,  Apollinaire,  Salmon qui furent les principaux meneurs à Paris.

La guerre... elle effaça en réalité presque toutes les tentatives d'action artistique. Et la paix,  jusqu'en 1924,  eut une influence encore plus néfaste sur le développement de l'art moderne....En 1924,  il y a du nouveau:  Dada touche à la banqueroute,  les cubistes retouchent à l'objet...J'écrivis dans Paris-Journal un article contre l'art snob,  prétentieux et pédéraste qui avait pris le haut du pavé. Les véritables poètes se cachant,  les salles de spectacle s'emplissaient de la sottise quotidienne. Le théâtre était mort,  remplacé par le ballet russe,  suédois ou nègre.....ce n'est qu'au théâtre que l'art pourra devenir excessif,  brûlant comme du vitriol et surréaliste,  c'est à dire plus puissant plus fiévreux,  plus vrai que la vie.

— Surréaliste...Nous y voilà !  Parlez-moi donc du surréalisme.

— Oui,  surréaliste. Pour moi surréalisme signifie plus que la réalité,  la réalité à outrance,  la vie radiographiée,  nue jusqu'aux os,  et toute chair incendiée ; la vie vue à la loupe...

— Mais que pensez-vous du surréalisme de la rue de Grenelle?..

— C'est presque l'opposé extrême,  oui ; mais vous verrez qu'à la fin les extrêmes se touchent. Les surréalistes bretonniens préconisent la surréalité,  qui signifie au-delà de la réalité ou l'autre réalité... Parce qu'ils sont partis du rêve....ils ont conservé du rêve la notion enfantine qu'il est quelque chose d'irréel. Mais pour moi le rêve n'est en aucune façon à distinguer de la vie. Il en est au contraire la continuation sournoise et peut-être encore plus directe. Mes rêves ne sont pas des promenades dans un absolu inconcevable pour mon être conscient,  mais des continuations immédiates de ma vie journalière. Ils jugent ma vie. Dans le rêve je vois plus clair et je pense plus logiquement. Je l'attends pour résoudre les questions embrouillées par la "logique",  par la diplomatie,  par le cynisme des jours. Le rêve est donc pour moi une réalité plus intense,  plus lucide,  plus directe.

— Et le rôle du rêve dans la poésie ?

— En temps que songe matériel,  aucun rôle. La surréalité des grands poètes de toutes les époques,  arabes,  grecs ou lapons,  est due à cette extase qu'on a toujours appelée inspiration et qu'il est inutile d'appeler aujourd'hui surréalisme. Ne sera pas poète qui veut et qui,  sans s'abreuver d'opium,  se mettra consciemment dans cet état d'inconscience que Breton et ses amis conseillent pour former une génération soi-disant plus géniale que toutes celles qui vécurent depuis 5.000 ans.

— Qu'elle est alors la fonction politique de votre surréalisme ?

— Mon surréalisme est beaucoup plus modeste ; il ne cherche pas à créer une école absolument nouvelle et différente de tout ce qui exista jusqu'à nos jours. Il ne veut que grouper sous une formule les poètes qui expriment la volonté actuelle de faire des œuvres où coule la vie et où celle-ci puisse être construite d'une façon presque aussi parfaite que notre système cardiaque.

lettre de Liliane (traduite de l'allemand par Claire Goll) Paris à Rainer-Maria Rilke

Rainer

    Je t'en prie, rassure-moi par quelques mots sur ta santé ! Est-ce que le vent du Valais est venu à ta rencontre ? Est-ce que ta « Tour »  t'a reconnu ? Et les roses, ont-elles attendu ton retour pour fleurir ? Chaque fleur de Sierre doit-être concernée par ta guérison.

    Ah, si tu savais combien intensément cette santé préoccupe mon cœur !

Et combien je suis attristée que nous nous soyons revus à Paris à un moment où le corps avait transmis sa lassitude à notre amour, lassitude amaigrissant l'âme.

   Mais tes yeux avaient augmenté. Souvent ces yeux m'ont parlé au-delà des frontières. Alors je me reproche de ne pas avoir suffisamment et avec assez d'humilité baisé tes mains.

    Un mot, je t'en supplie !

                                                                                  ta Liliane

                                                           1926

Rainer Maria Rilke (Prague 1875  † sanatorium de Val-Mont, Montreux 1926)

"Ivan Goll, l'homme qui chante tout le long de sa vie. Impossible de ne pas voir qu'il est allemand. Il a un rire couleur du Rhin. Des lunettes qui agrandissent l'oeil,  clignant comme les lumières de Nuremberg,  dans la nuit de la fantaisie. Impossible de ne pas voir qu'il est français. Il est plein de sourires,  d'ironie foraine. Son oeil se fixe sur tout spectacle,  il en profite pour oublier la versification ; il crée de mystérieux projets de cosmogonies nouvelles.

Mon cher Robert Delaunay,  surveillez Goll ; c'est l'homme qui un jour ou l'autre vous volera la tour Eiffel pour l'emporter.       Où ?"

" 900 " - Cahiers d'Italie et d'Europe - n° 1 Cahier d'Automne 1926.  Fondateurs :

Massimo Bontempelli - Curzio Malaparte. Nino Frank : Astérisques   (p. 185) :

Claire (Paris)  à Yvan (Nancy)  14 octobre 1926 MST p. 19****

                                                       Dimanche (1926)

                                                           (Paris)

Mon Chéri

            Tu me manques de bout en bout, et surtout au bout du jour. Car, lorsque vient le soir, je ne me supporte simplement plus. Voudrais hurler à pleine voix, comme un jeune chien.

            "Tu ne peux vivre sans moi", dis-tu. Cela n'est que trop vrai. Et si, de ci de là, je te suis infidèle, ce n'est réellement que par désespoir, parce que je ne sens pas autour de moi tes bras bénisseurs. 

            Une corde de ta guitare a sauté, hier, de douleur, avec un son mineur. Une seconde auparavant, je lui avais donné le diapason avec ma voix sanglotante.

            Fan-Fan *, comme toujours, saute le matin sur mon lit, fait ses caresses et ses exercices de gymnastique sur mon cou : en avant, en arrière, puis il m'enfonce brusquement ses griffes dans la chair, parce qu'il est furieux de ton absence. Tu vas prétendre qu'il a de l'excitation érotique. Et je réponds : Non, il ronronne parce que tu n'es plus là, et qu'il ne trouve plus d'épaule pour faire de l'alpinisme. Sans cesse il va avec moi à ton bureau, pour tourner autour du poète qui y est assis. Et soudain, il s'aperçoit que j'ai seulement évoqué la vision du poète, et ses yeux bleus deviennent rouges de colère. N'est-il pas déjà profondément vexé, que je le laisse seul toute la journée ? Mais, c'est qu'il y a aussi chaque jour un voyage pour aller chez Kokoschka. Tu sais qu'il habite à l'autre bout de la ville. Hier, quand je suis rentré à la maison, Fan-Fan m'a flairée sur toutes les coutures. Avait-il senti l'autre bête de proie, le Kokoschka ? Bref, il me mordit au bras et me griffa par jalousie. Et pourtant, ni lui ni toi n'ont la moindre raison d'être jaloux. Je ne pose pas pour K., assise mais étendue, et ce faisant, je me sens toute triste. La "Ceinture" n'est pas loin, et quand j'entends passer un train, je voudrais le prendre pour aller te retrouver. Donc, je suis étendue. Tu sais bien que je ne peux pas rester immobile en position assise. Il viendra un moment où K. déchirera son dessin et m'en jettera les morceaux aux pieds. Comme l'a fait Archipenko avec ma tête presque entièrement terminée, qu'il fit voler en éclats. Ou peut-être me transformera-t-il en un rouge lac de montagne, comme fit Meidner. Mais aussi, avec ce dernier, comment aurais-je pu poser sans bouger ? La peur m'entraînait à droite, puis à gauche, dès le moment où il m'ouvrait la porte, avec son casse-tête caché dans sa manche, ou encore quand il buvait son thé dans des boîtes de conserves qu'il avait ornées de têtes de mort. Chez K. non plus, je ne me sens pas tranquille. Est-ce que cela vient de ce que l'atelier est meublé de désespoir et de faim expressionnistes ? Le baron, son ami, m'a mis en garde : "Au nom du ciel, n'apportez rien à manger à K. ! il vous jetterait dans l'escalier avec votre paquet ! "

            De lui aussi, K. a refusé toute aide et tout argent. Il est vrai qu'en France, personne ne le connaît. La France s'en fiche des génies. Qu'il se pende comme Gérard de Nerval ! Beaudelaire n'avait jamais d'argent non plus. Et Gauguin, Van Gogh, le Douanier Rousseau n'ont-ils pas vendu leurs toiles pour un dîner ou une note de blanchissage ? Donc, je fais comme si je ne voyais pas qu'il meurt de faim et j'apporte seulement une grande quantité de tartelettes aux fraises. A 5h., pour le thé, je grignote mon gâteau, bien que l'appétit me passe quand je regarde cet homme couleur de lune. J'attends qu'il morde à son tour dans une tartelette. Mais sa fierté lui donne l'énergie de n'en prendre aucune. Alors, je reprends la pose étendue. Son visage ravagé doit se refléter dans le mien. Certainement, personne n'a encore fait de moi des dessins aussi tristes. Chagall a projeté dans ma figure son génie positif, affirmatif, Robert **son dynamisme, et quant à Albert ***, j'essayai de le tenter avec "mon regard de sirène" (comme tu l'appelles). Ensuite, quand sa moralité pédante commençait à fondre, je devenais de glace et il jouait au bilboquet pour retrouver son équilibre cartésien. Mais ici, : rien que du tragique et du chaos. Une matière explosive incontrôlable. L'élément allemand. Peut-être aussi un peu de sang slave.

            Lorsqu'ensuite, je m'en vais, il me rappelle. J'avais oublié mes gâteaux, dit-il. " Mais, Koko, dis-je, vous ne voulez tout de même pas que je traîne avec moi jusqu'à la maison cette pâte au beurre ramollie".

            Et ce n'est certainement pas plus gai pour toi, à Nancy, entre ta mère et ton beau-père. Oh ! cette séparation !

        J'espère que K. ne me dévorera pas et que bientôt, je m'étendrai, de nouveau, pour toi.

                                                                       Ton inconsolable Zou

* Chat siamois offert par Jacques Villon aux Goll

** Delaunay

*** Gleizes

                                                           1927

Lettre de Goll (12 mars 1927 - Berlin) à Jean Painlevé

Cher ami,       

Ainsi,  après que vous ayez préparé Mathusalem,  ma chère oeuvre,  avec tant d’amour et de dévouement - le sort a voulu que je fusse exclu du dernier effort et du suprême élan!  Oh,  comme je regrette!  Mais n’y a-t-il pas beaucoup de votre faute?  Pourquoi ne rien m’avoir écrit,  m’avoir laissé sans le moindre détail sur votre travail et tout ce qui se préparait. Un petit télégramme de votre part et j’étais dans le train de Paris!  Mais votre silence ne pouvait que me faire prévoir que vos répétitions suivaient toujours le même train que depuis le 15 novembre. Seule une lettre charitable de Gine Avril m'a ouvert les yeux,  arrivée le soir même de mercredi :  jour de la Générale!  Faut-il vous décrire mon effarement et mon chagrin? 

Ici tout avait si bien marché! Triomphe à l’Opéra d 'Etat, ci-devant impérial,  où mon  "Royal Palace" a ébranlé comme une bombe les poutres ancestrales. Un opéra de jazz,  avec film,  décors cubistes,  et une musique effrénée,  atonale,  toute moderne :  un parquet d’élite,  le Tout Berlin grossi de curieux accourus de toute l’Allemagne,  critiques de Prague et de Francfort. Et ils n’en sont pas encore revenus ? !

Et maintenant :  Mathusalem sans moi. Toutes mes joies s’effondrent!

Ecrivez-moi,  téléphonez-moi           

votre inconsolable   Ivan

lettre de Franz Blei à Claire Goll 16 mars 1927

dans " Yvan und Claire Goll, Bücher und Bilder p.52

Katalog der Ausstellung im Gutenberg - Museum zu Mainz,  1973

carte de Goll (30 mars 1927 - Berlin) à Jean Painlevé

Mon cher Jean,

Je lis à l'instant dans Le Figaro, que vous allez reprendre " Mathusalem" en soirée dans de nouveaux décors. Bravo  bravo  bravo ! Mais j'espère que vous m'enverrez une petite invitation, cette fois !

            Bien amicalement

                        votre

                                   Ivan Goll

Lettre Ivan Goll (Metz) à Claire à Paris du 26 juillet 1927 [ mardi]

                                                           Metz 26 juillet 1927

                                                           (mardi)

Chérie,

            Il faut que je raconte une histoire très drôle : hier soir, nous avons été invités tous les trois chez  mon paysan d'oncle. (Il y eut d'ailleurs un dîner très rustique : des quantités immenses de lait, de crème, de fromage, de lait caillé, d'œufs et de tomates étaient venus d'une ferme qu'il possède. C'était une débauche de produits lactés sans précédent). Et là-dessus, on nous a offert un concert : la pauvre petite Liliane, tu sais est condamnée à mort. C'est terrible à voir, et il faut convenir que ses parents lui achètent tout ce qu'elle désire. Elle possède depuis huit jours un poste de radio à 4000 francs, et alors, on nous a offert de la musique de tous les coins : des marches militaires de la Tour Eiffel, - de Londres, les chansons populaires de Doodlesack, et ensuite, on s'est branché sur Langenberg, une sorte de Königswusterhausen. Il y avait justement une soirée américaine : une  Symphonie américaine, puis du Jazz, des chants nègres, et enfin... une lecture tirée du "Nouveau Monde" de Claire Goll, paru aux éditions S. Fischer : 4 poésies de Carl Sandburg, Kreymborg, Ezra Pound, etc. Cela dura une bonne demi-heure, projeté dans la pièce par un récitant talentueux, pathétique. Ton nom sonna haut et clair, tous le comprirent, et tu avais un peu vaincu. (*) Mais surtout : cela te rapportera, cette fois encore, environ 40 ou 50 M. au moins.

            Pour le reste, les rapports avec ma mère sont tout à fait excellents. Tout ce qui serait désagréable, on le tait. Elle s'est bien reconnue en Elvire (°) : la servante des vieux, a-t-elle dit.

            Ce matin, j'ai fait une belle promenade dans la vallée lorraine et le long de mon canal.

            Demain, à 5 heures du matin, je continuerai jusqu'au beau vieux cimetière juif de Sélestat. Le soir, à Lucerne. Jeudi soir, je quitterai Lucerne et vendredi matin, je serai à nouveau dans tes bras, chère enfant.

                                   Ton toujours fidèle

                                                           Ivan

S'il y avait quelque chose d'important au courrier, par ex. une lettre de Piper, fais suivre bien vite à Lucerne, s'il te plaît.

* Sous le prétexte que j'étais une "demi-boche", la mère d'Yvan, jalouse, n'avait pas encore voulu me connaître (note de Claire).

(°) allusion au roman à clefs de Goll : "Le Microbe de l'or", qui était paru à Paris en juin 1927

Télégramme Ivan Goll (Metz) à Claire à Paris juillet 1927  [ date presque impossible, à vérifier ]                                                                            Metz juillet 1927

Claire Jasminpalace, reçu lettre bleue. Solitaire pleine d'initiatives. Orphée sans moi ! Fischères tant mieux ainsi. Cocteau d'abord, ensuite Stock. Ici, la douleur s'use d'elle-même. Même le million de soleils fraîchit. J'aspire au départ. Arrive dimanche matin six heures sept.

Expédie immédiatement le télégramme inclus.

                                                           Vani

Lacrasse et fils, rue des Bourgeois, 12

                                                           1928

11 janvier 1928 : Lettre d'Ivan Goll à Gaston Picard

                                                                                                                                                                                            Paris   11 - I -  28

     Mon cher Gaston Picard

     Votre enquête me touche de trop près pour que

je n'y réponde pas :

                                               Le Surréalisme !

   Parce que ce terme a été inventé par Apollinaire

qui le premier a pressenti, avec ses antennes sensibles

la destinée de notre époque

    Parce que ce terme désigne les deux courants

les plus caractéristiques, quoique les plus opposés, de

notre  vie  intellectuelle  :  l'un   conduisant   vers

l'inconscient ou le subconscient, en conformité

avec les récentes théories médicales et psychologiques

l'autre, au contraire, vers le superconscient, en

écoutant les préceptes de la science, de la

technique et de l'art modernes, avec le but suivant :

créer, par le truchement de l'œuvre d'art, une

réalité surréelle, en extrayant la substance éternelle,

le sentiment standard, de la chose quotidienne,

de la réalité factice et fugitive, qui, à l'état brut,

" photographiée ", n'avait conduit qu'au réalisme infécond.

            Bien cordialement votre

                                                                                              Ivan Goll

lettre de Franz Thomas Mann à Claire Goll 8 avril 1928

dans " Yvan und Claire Goll, Bücher und Bilder p.52

Katalog der Ausstellung im Gutenberg - Museum zu Mainz, 1973

                                                           1929

Les soirées de Sagesse : Les "Amis de Sagesse" se réunissent tous les samedis soirs,  à la Brasserie Courbet,  133 Bd.Brune (14°)

23 février 1929 :

Quelques poètes allemands contemporains. Poèmes de Rainer Maria Rilke,  Ernst Toller,  Karl Liebknecht,  Ludwig Rubiner,  Claire Studer par Jean Dorcy,  E.P. Jalbert,  Fernand Marc

16 mars 1929 : Soirée réservée à :

l'Anthologie mondiale de la poésie contemporaine d'Ivan Goll.

Carte postale d'Illya Ehrenbourg - Moscou à Mr Goll du 15/6 1929 ou 30

15/6                                                                Mr  Goll, 27 rue du Jasmin, Paris  16 è, France

Cher ami, je fais tout pour placer vos romans. Je rentre en France vers le milieu d'août.

Mes amitiés à Madame Goll et à vous

                                   Votre Ehrenbourg

La Revue Mondiale,  XXX ème Année -15 novembre 1929 (ancienne Revue des Revues)

Directeur Louis-Jean Finot.  p. 216

M. Ivan Goll se révèle ironiste implacable dans Sodome et Berlin. Et son humour est si féroce qu’on ne peut guère démêler la vérité de la fiction. Il nous dépeint avec verve un Berlin se réveillant avec peine des émeutes communistes,  puis livré à la folle spéculation lors de la grande inflation,  aux moeurs désaxées,  aux aventures ahurissantes subies ou provoquées par mille gens divers,  et cette fièvre de débauche,  cet amour du jeu,  fond du livre,  sont un perpétuel rebondissement pour l’intrigue de ce roman un peu fou,  parfois désordonné,  qui traîne en longueur vers la fin,  mais que M. Ivan Goll a réussi malgré tout,  car original et vivant." (Louis Jean Finot)

Une critique du livre de Claire Goll en novembre 1929 : "Une Perle", Léon Lemonnier dans "Vient de PARAITRE"

                                                           1930

Ivan a quitté Claire le mercredi 26 février pour affaires littéraires à régler à Francfort

Lettre Ivan Goll (Francfort/Main) à Claire à Paris du 27 - II - 1930

                                                           Francfort/Main

                                                           Hôtel Cour d'Angleterre

                                                           jeudi 27. II. 30

Chère Susu,

            Cette nuit a été la plus chaude que j'aie jamais passée : seul dans mon compartiment, enveloppé de couvertures, de sweaters, couché sous mon manteau et par là-dessus, le chauffage marchait à plein ; j'ai transpiré mieux que dans mon lit, pour guérir ma grippe. Je suis arrivé tout frais à l'hôtel, en face de la gare. Meyer était déjà là, et le Dr Goyert. Meyer, un type qui n'a rien de juif, rien de rusé, mais des cheveux blancs et un visage rouge, m'a reçu avec beaucoup de cordialité. Nous avons parlé de plusieurs choses, rien de définitif. Demain viendra le Dr Brody, et alors seulement ce qui vaut la peine d'être dit sera jeté sur le tapis. Mais avec Meyer il fait bon vivre. Un " bon vivant " allemand.

            Le temps, magnifique. La ville, terriblement provinciale et ennuyeuse. Le Römerberg

(place de l'Hôtel de Ville), un joyau fait de vieilles maisons bariolées.

            Aujourd'hui, je n'irai sans doute pas au théâtre. Mais demain. Je verrai jouer une pièce, mais ne parlerai pas aux gens de théâtre.

            J'espère que tout va bien pour toi. J'ai dévoré toutes tes provisions, et toi ? pense à moi et nourris-toi bien.

Et sens mon baiser électrique, proche et lointain.

                                                                       Ivan

Lettre Ivan Goll (Francfort/Main) à Claire à Paris du 28 - II - 1930

                                                           Francfort/Main

                                                           vendredi 28. II. 30

Très chère Suzu,

            Suite à la séance du Rheinverlag avec le Dr Brody. Le "livre blanc" s'est rempli. Nos poèmes d'Amour seront imprimés au printemps, après le Livre Blanc. Meyer et Brody sont réellement aussi gentils que l'est, de son côté Lohmeyer. Il y aura encore de beaux jours. Meyer s'est intéressé beaucoup aussi à "La Perle" et il connaît une bonne et nouvelle maison d'édition (dirigée par Kläber), à laquelle il va recommander le livre. Il est donc certain qu'il paraîtra bientôt en allemand.  Les nombreuse autres affaires sont en suspens.

            J'ai téléphoné à Hanau. La lampe Sollux coûte ici 70 M = 468 frs, au lieu de 850. Mais demain samedi, j'irai là-bas : le directeur connaît tes articles E. T., s'y intéresse beaucoup, et je crois que nous pourrons obtenir un prix de faveur.

           Au théâtre, hier soir (une représentation berlinoise de Jules César, vraiment tout à fait remarquable, avec des batailles mouvementées sur la scène tournante !).

            Parlé au Sassheim, ou plutôt au Sassheimchen : un petit Juif tout contraint, tout intimidé. N'a naturellement jamais le temps. Kronacher est à Leipzig, revient demain, et m'a fixé un rendez-vous pour dimanche. Il faudra que j'agisse avec diplomatie.

            J'ai également porté l'Erika à la succursale d'ici : vis neuves, cylindre neuf et nombreuse réparations sont indispensables, qui coûtent 15 M. (prix ridicule) et seront terminées lundi.

            Un soleil merveilleux, Pré-printemps. Comment vas-tu ?

Vais-je recevoir une lettre ? Je pense beaucoup à toi : toutes les heures, je me dis : à présent elle fait ceci, à présent elle fait cela. Demain chez les Clermont-Tonnerre cela promet.

                        Je te prends toute dans mes bras.

                                                           Ivan

Claire (Paris) à Yvan (Francfort)  1er mars 1930

                                                       19, rue Raffet, Paris XVIème

                                                           samedi (1er mars 1930)

            Chéri, à l'instant ton télégramme ! En remerciement, ce baiser ultra-rouge de mes lèvres à la fin de cette épître. Quel type tu es ! A présent, j'espère seulement que tu auras de la chance au théâtre et qu'une lampe Sollux s'allumera sur ton talent. Et remets-toi bien à la campagne, car Francfort est sûrement la campagne à côté de Paris.

            Dis à Meyer que je le supplie d'arracher mon "Allemande" aux serres de Wasservogel. A quel éditeur pense-t-il pour "La Perle" ? Rütten et Loenig à Francfort ? Les histoires d'animaux sont chez l'imprimeur. Une dame, Kate Hirschmann, a envoyé un pneu au sujet de Pascin pour Vanity Fair. Elle voulait publier quelques reproductions et ta photo. Je lui ai répondu par pneumatique, qu'elle trouvera cela chez Martinie.

            Amy Linker m'a fait une robe délicieuse. Avec Patou, rien pour l'instant, bien qu'hier il soit entré et se soit assis sur le bureau de Bernard, pour se faire admirer, ce dictateur des tissus, si avare. Dans une heure, Georges Devereux viendra me chercher pour aller au cocktail de la Duchesse de Grammont. Ainsi donc, prends ce baiser comme acompte.

                                                           Ta Susu

            James Joyce m'a chanté un beau Lied au piano.

            C'était ravissant :

             " The dark-haired girl " était le titre. Sentimental et triste.

Ivan Goll rentre le 3 ou 4 mars et repart le 5 août pour Largentière travailler sur un scénario de Film avec Walter et Nina Ruttman.  Il y restera jusqu'au lundi 18 août.

Claire (Paris) à Yvan (Largentière)  6 août 1930

                                                       mercredi matin 1930

                                               Ceci est une goutte de pluie,

                                               Je suis couchée à la fenêtre

                                               et il pleut à verse

Chéri, petit cœur,

            J'ai encore voyagé toute la nuit avec toi (comme toujours). J'étais couchée dans tes doux yeux bruns. Quelquefois, je les grignotais  Les gâteaux de miel sont rares en France. J'espère que tu as là-bas du soleil et beaucoup de joie.

            Je viens de faire faire le ménage à fond de ta chambre.  Toutes ces pensées méchantes et aimantes à mon sujet, qui voltigent partout, les voici dévorées par l'aspirateur !

Perpetuum vacuum mobile.

            Et les 150 frs suisses du  Rheinverlag ont été payés, et l'argent pour moi vient justement d'arriver.

            Ce soir, Maria est avec moi, et la femme me fait la cuisine, en revanche l'après-midi.

            Les pigeons sont venus dès le petit matin et n'ont pas voulu manger, par ce que tu es parti. Les vignes laissent pendre leurs feuilles et l'acacia secoue sa belle chevelure verte. Avant-hier, j'étais enceinte de tristesse, mais à présent, cela va mieux ; je fais des progrès en gaieté et j'attends angéliquement, comme un ange de Fra Angelico, l'annonce de ton retour à la maison.

            Rodier m'a fait cadeau d'une couverture extraordinaire, une prairie de cachemire. Récemment, il n'a donné à Colette qu'un châle. J'ai presque honte - mais seulement presque. C'est une couverture céleste, on voit tout de suite qu'elle est faite avec la laine des chèvres qui vivent au Tibet à une altitude de 5000 mètres. Sous cette couverture, j'apprendrai à voler et à rimer, et à faire des poésies sur " petit cœur ".

            Au revoir, vis bien, - mieux que jamais ; bonjour de ma part à Rut (°) et à "Niemann". Et écris bientôt. Envoie à la cousine Lucie le Mont Elimar et à moi la fleur blonde du midi, et salue aussi de ma part Zouzou, si tu la rencontres.

                                               En amour,

                                                                       Ton

                                                                                                                                                         

(°)  Walter Ruttmann

extrait d'une lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire à Paris du 7 août 1930

                                                                                              7 août 1930

Et c'est pourquoi, Aimée, tu ne dois pas être triste si j'aime à présent ton œuvre, c'est-à-dire moi, plus que son sculpteur. Si je suis heureux dans la solitude. Si je m'épanouis dans les sentiments dont tu m'as fait don.

            Oh, tu meurs parce que tu ne me touches pas ? Mais moi, je crains ce qu'il y a de périssable dans le contact. C'est pourquoi j'ai fui. Mais vers moi-même, vers moi seul. Parce que j'aime plus l'amour que l'accomplissement.

Lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire à Paris du 8 août 1930

                                                                       Largentière

                                                                       vendredi 8 août 30

Chère Zouzou,

           Comme elle était douce, ta lettre de pluie, écrite mercredi. Par contre, ma lettre de soleil, écrite hier, était beaucoup plus âpre. Pardonne. Mais je ne serai pas délivré de mes soucis, tant que tout ne sera pas fait pour protéger contre les éléments terrestres  ta gracilité de fée. Ce stupide mois d'août, si pluvieux qu'il soit, sera bientôt fini, et il est vraiment très important que tu fasses encore ta cure à Challes. Comme je te l'ai dit, je reviendrai peut-être seulement à la fin de la semaine prochaine, et tu gaspilles à Paris tes meilleurs jours. C'est pourquoi je te conseille ce petit effort : quand tu seras assise dans le train, tu seras contente.

            Nous travaillons à trois au découpage : le matin, l'après-midi, le soir, - étendus dans une prairie ou assis à une table sur la terrasse.

            Largentière, une très vieille ville, avec des ruelles mal famées, des balcons en ruines. Beaucoup d'animaux pour le film sonore : ânes, chats, et tout autour une nature de "midi moins cinq", comme dit Nina. Vraiment très aimables, Rutt et sa femme, et quand le film sera réalisé, j'aurai certainement collaboré à une belle œuvre d'art. C'est seulement au travail que l'on constate combien Ruttmann a un talent symphonique et pictural !

            Très dommage que tu ne sois pas la quatrième dans cette coalition, mais, à l'exception de nos rires retentissants, - tu ne supporterais pas les menus.

                                   Je te caresse la plante des pieds

                                                                       Ivan

Lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire à Paris du 10 août 1930, terminée le 11

                                                                       Largentière

                                                                       10 août 30

Très chère Zouzou,

            Il faut que je te parle un peu de notre vie à trois, ici. Ruttmann * et Nina sont très cordiaux à mon égard, mais ils forment un tout, et je reste en dehors. Ils sont terriblement amoureux, surtout Nina, et il est souvent difficile de supporter le spectacle de cet amourachement, bien qu'il soit absolument sincère et senti. Nous travaillons toute la journée, à partir de 9 heures du matin, et l'après-midi dans une prairie, sur les collines qui surmontent la ville. Crissement de grillons, ombre des châtaigniers, et tout près de là, des pruniers dont les fruits mûrs nous rafraîchissent. Chacun déballe ses idées. Ruttmann dirige, il a la parole, et j'écris en français ce qui est accepté. Mais la discussion est quelquefois difficile, précisément à cause de cet amourachement. Ruttmann parle sans cesse en fixant Nina dans les yeux, c'est pour elle qu'il invente. Tout dépend de son approbation. Quand il a trouvé quelque joli effet, elle fait des yeux de bienheureuse, se colle à lui, pleine d'admiration, baise sa main, son épaule ou sa joue mal rasée. Ils travaillent d'un seul élan, pour ainsi dire l'un dans l'autre, le jour et... la nuit, et j'ai souvent de la peine à les convaincre de certains changements dans les vers. Souvent, le travail continue encore, le soir, dans leur chambre. Nina dit que c'est une tâche historique, car ce sera le premier film sonore construit selon des lois internes, comme une symphonie de formes picturales et tonales. Je crois que nous avons déjà découvert beaucoup de choses neuves, fondamentales pour l'art du film sonore. Quelque chose comme les premiers jeux mystères.

            Et cependant, le séjour ici est pour moi très rafraîchissant. Je t'ai déjà écrit quelles débauches nous faisons en ce qui concerne la nourriture. Aujourd'hui dimanche, par exemple, il y avait le matin des brioches faites à la maison, avec le café ; Ruttmann nage dans la joie à cause du vin rouge qui coule sans arrêt. Je sors dès 6 heures du matin et je fais une marche de deux heures à travers les vignobles. Les repas sont très animés. Nous rions beaucoup. Mais tout cela reste naturellement sain et sans apprêts. Pour toi, ces assiettes seraient trop mal lavées et chaque rôti contreviendrait à ton régime. Dommage tout de même que tu ne sois pas ici. Le temps est aussi beau qu'on peut souhaiter : pas encore une goutte de pluie depuis notre arrivée, seulement des nuages deci-delà, pour qu'il ne fasse pas trop chaud. Une chaleur prolongée, ici, serait sans doute pénible. Je me remets bien, et suis déjà tout bruni.

            Toi seule me cause des soucis. Depuis ta première lettre, je n'ai pas reçu de nouvelles, et ne sais ce que tu as décidé au sujet de Challes. Peut-être une lettre arrivera-t-elle à midi ?

            Dimanche midi - Pas de lettre. (Seulement l'imprimé, merci).

            Lundi midi, toujours rien ? !

Je viens de te télégraphier pour te dire :

            1) que nous restons ici jusqu'à lundi prochain le 18 août : nos billets peuvent être prolongés avec un petit supplément.

            2) que j'espère apprendre qu'entre temps, tu es enfin partie pour Challes. Un petit effort, et tu y seras. Quelqu'un t'aidera bien.

            3) que je t'appellerai demain matin au téléphone, pour entendre à nouveau ta voix d'oiseau. Si tout se passe comme je l'ai prévu, je pourrai aller te voir à Challes le mardi 19 et rester 2 ou 3 jours près de toi, mais pas davantage, car je ne dois, sous aucun prétexte, laisser les Ruttmann livrés à eux-mêmes, tant que le manuscrit n'est pas terminé et envoyé. Mais avant la version définitive, il faudra sûrement encore deux semaines.

            Continue à me faire confiance et à aimer ton

                                               éternellement dévoué

                                                           Ivan

* Ivan et Walter Ruttmann font ensemble un scénario.

Claire (Paris) à Ivan (Largentière)  11 août 1930

                                                       lundi après-midi

                                                      (Paris 11 août 1930)

Chéri,

            Merci pour ta chère lettre. Je pars jeudi pour Challes et te confirmerai encore mon départ télégraphiquement. Mais vraiment, tant qu'il pleut et vente de la sorte, je n'ai rien perdu à ne pas être là-bas.

            Je suis heureuse de savoir que vous travaillez si bien et que vous avez beaucoup de soleil. Sûrement, tu reviendras bruni et fort, les poches pleines de poésies et l'âme pleine de fleurs. Fifi est perché là et bat de ses ailes blanches, comme s'il voulait applaudir au fait que je vole vers toi, là, dans ma lettre. Je vole vers toi, en effet, souvent, - plus souvent que tu ne penses, et je te caresse. Aujourd'hui, j'ai regardé longtemps ta photo et j'ai causé avec elle.

            Ce soir, je vais avec Maria à la sauterie, au Bal des coeurs de la rue des Vertus. Quels doux noms, n'est-ce pas ? Ensuite, je dormirai près de toi, cela me fera grand plaisir.

            Ma "Salade" a paru, ainsi que 2 articles géants d'Iris Scarawaros sur moi, - à Athènes. Je ne peux pas bien t'écrire, car j'ai égaré mon stylo et j'écris avec de l'encre et une plume appartenant à René. D'ailleurs, les Claudel sont charmants, ils m'apportent à manger et prennent soin de moi d'une manière touchante. Ne sois pas inquiet, je suis bien remise et je me sens, pour le moment, en excellente santé. - J'ai écrit à tes gens, mais sans parler de ton voyage. - Je viens de réfléchir : si tu reviens lundi, je pourrais, au fond, t'attendre ici ; il doit faire à Challes un temps épouvantable. Ici, au moins, je peux chauffer. Télégraphie-moi tout de suite, pour me dire si je ne dois pas t'attendre.

            Je t'embrasse avec une grande tendresse.

                                                                       Ta Susu

Claire part le 14 août pour Challes. Ivan revient à Paris le 18 août   

Lettre Ivan Goll (Paris) à Claire à Challes-les-Eaux du 22 août 1930

                                                                       Paris 22 août 30

Très chère Zouzou,

            Fausse alerte ! Mon télégramme d'hier " Réconcilié avec les Ruttmann" avait été possible dans l'émotion de notre revoir. J'ai rencontré le couple hier matin, à son retour de ce long voyage. Nous devions nous mettre d'accord, recommencer à collaborer, et c'est aujourd'hui seulement que je devais apporter le contrat...

            Et aujourd'hui, après une nuit, les visages étaient redevenus sombres. On a discuté par-ci par-là, marchandé : nous avons fini par reconnaître que, dans ces nouvelles conditions, un travail en commun n'est plus souhaitable. Donc, tout est bien, voilà une solution claire, au moins et mon inquiétude de ces derniers jours est tombée comme une fièvre. Terminé. Un contrat a été fait, dont je te parlerai...

            Ah ! que tes trois cartes étaient délicieuses ! elles signifient pour moi un langage plus intime, plus de soins et un souvenir profond. J'ai grand besoin de ton amour, j'ai tant souffert ! Et j'ai tant besoin de sécurité pour achever mon drame futur !

            Lundi, je pars pour te revenir. Tout, tout ce que tu as noté te sera apporté. Il faut encore que je lise à la Bibliothèque les documents "Mélusine". Une dame très mystérieuse, sur laquelle on a peu écrit, à ma grande surprise. Eh bien, Mélusine sera donc de moi.

            Voici quelques photos que j'ai été chercher au magasin où on les a développées, et que j'ai reproduites immédiatement pour toi. Très bonnes, avec cet appareil bon marché !

            Oui, je t'apporterai aussi Contrepoint : entre nous, Colombat a puisé sans savoir dans le dernier feuilleton de Jaloux, dans Les Nouvelles Littéraires. J'aurais aussi bien pu te le dire.

                                   Travailles-tu ?

                                                           Avec tout mon amour

                                                                                  Ton

                                                                                              Ivan

Il ira retrouver Claire à Challes le lundi 25 août. Ils restent tous deux à Challes jusqu'au 13 septembre car Claire rentre à Paris. Ivan reste dans la chambre d'hôtel de Claire pour travailler sur sa pièce Mélusine sans doute jusqu'au 20 septembre.

Lettre Ivan Goll (Challes-les-Eaux ) à Claire à Paris du 14 septembre 1930

                                                                       Dimanche 14 sept. 30

Chère Zouzou,

            Ta petite lettre, avec le lambeau de nuage, vu de ce train, m'est arrivée en voltigeant, aujourd'hui déjà à midi, - tout à fait inespérée en ce premier jour de solitude, - jour sans distribution de courrier. Sache le tout de suite, l'argent suisse est tout de même arrivé hier soir, et malheureusement trop tard. Il suffit tout juste à payer la dernière note d(hôtel, et peut-être aussi la prochaine, ainsi que le voyage. C'est pourquoi je ne t'ai rien envoyé aujourd'hui.

            Il est beau d'habiter ta chambre, et rien de ta nervosité n'était resté sur l'oreiller, j'ai dormi magnifiquement bien, sans moustiques.

            Mais quelque chose de ton esprit plane cependant entre les murs et m'environne, tandis que je travaille à la Mélusine. Aujourd'hui, j'ai achevé à peu près le premier acte. Mais si je compte, de plus, 2 jours pour dactylographier chaque acte, je n'arriverai pas à partir d'ici avant la fin de la semaine.

            Le temps continue à être frais et pluvieux. Pietro est très gentil pour moi

Mais seulement une portion de glace. A part ça, rien de changé.

                                               Prie pour Mélusine et pour ton

                                                                                  Ivan

Claire (Paris) à Yvan (Challes-les-Eaux)  17 septembre 1930

                                                       mercredi

Chéri,

            Merci pour ta petite lettre. Il arrive à Mélusine la même chose qu'aux lézards : quand on leur arrache la queue, elle repousse par petits bouts. Tu lui en as greffé une neuve : espérons qu'elle sera dix fois plus belle que l'ancienne.

            Ici, il n'y a rien de nouveau. Le courrier manque tout à fait de tempérament. Seulement, une charmante lettre de remerciement de Cassou, dans laquelle il dit qu'en octobre (à la rentrée de tout le monde), il écrira quelque chose de beau sur nous. Les truffes ont eu, cette fois-ci, une puissante action sur l'âme.

            Les Clauzel me réconcilient avec la nourriture et sont délicieux. Achète pour Madame Clauzel des truffes que tu lui rapporteras (si tu as, à Chambéry, le temps de faire cet achat) ; aux petites filles, j'ai apporté, tu le sais, les bracelets. Il faut que nous leur donnions quelque chose en échange de tout ce qu'il font pour nous.

            As-tu été avec Simone chez la "Madone noire" ? Salue-la cordialement de ma part, ainsi que Muttery. Et aussi Pietro, Etienne et Dufour.

            Je travaille à des articles et je chauffe ma chambre, car il fait froid et il pleut.

            Les pigeons m'ont fait un accueil suave. Fifi s'est perché sur mon bras (Renée en est témoin) et m'a picorée avec zèle. Puis il a posé une petite patte sur la vigne, étendu une aile au-dessus de ma main et a pris doucement les miettes de pain dans mes doigts. Il t'envoie un baiser de pigeon et je t'en envoie trois, cela fait quatre.

                                                                       Avec amour

                                                                                  Ta Zouzou

Tout le courrier conservé du Marquis de Casa-Fuerte Alvarez de Toledo à Claire 1931/32

Samedi matin

Mon Eliane, mon Amour ! J'aurais du partir ce matin pour le Basilicate (?) et je ne pars pas.

A la suite de mon voyage à Naples, aux cours à la recherche des fiefs abandonnés est retardée. Le cousin qui est intéressé comme moi bien qu'en des proportions moindres, à cette      retadication (?) m'avait promis son aide et m'avait dit de m'entendre avec son homme d'affaires qui est à Naples, et c'était pour voir cet homme d'affaires que j'avais pris le chemin de ma ville natale. Mais cet homme m'a dit que pour le moment mon cousin ne pouvait pas disposer d'argent. Je ne veux pas faire  face seul aux frais que cette affaire exige. J'ai déjà dépensé pas mal d'argent pour cela. J'attendrai donc ou son concours ou le concours de quelqu'un d'autre ou de pouvoir le faire seul. D'autre part, une affaire, qui avait l'air de marcher bien, me semble compromise. C'est, tu le vois, mon Ange, toujours les obstacles qui surgissent devant moi, qu'il faut que je vainque. Tu me trouves un peu découragé, mais cela passera. Tu sais que je tiens bon. La solution, je l'aurai ici. Il faut que cela soit. J'ai reçu de Marseille mon premier acte copié à la machine, mais en un seul exemplaire alors que j'avais demandé deux exemplaires. Comme cet exemplaire contient des fautes, il faut que je l'envoie corrigé à Marseille. Je vais leur demander de m'envoyer un double exemplaire du texte, car je veux t'en envoyer un.S'ils ne le font pas, je le ferai copier quelque part. Mais, tu ne me dis rien de ta date. Je vois qu'ils ne se pressent pas beaucoup à Marseille et je ne sais pas quand ils pensent faire partir ma pièce. On me la demande pour Rome : on m'a déjà offert de la traduire en italien mais j'ai prévenu que la censure ne la laisserait pas passer; et puis, je ne vois pas quelle troupe italienne pourrait bien la jouer. On m'a offert, en outre, de la donner ici, en français, dans une salle privée - peut-être à l'Ambassade de France - et que je prie un des …

…"Grosse " affaire et à 3 h avec Aymard

Eliane, je t'adore

                                   Illan

                                                           1931

…3h½ - Je t'écris d'un petit café de la rue Réaumur. Aymard m'attendait chez lui, mais pour sortir car il devait aller à la Liberté, de sorte que nous avons parlé en cours de route, dans son auto. Je m'occuperai pour lui trouver quelque chose de très sérieux et important dans quelque grosse société. Je t'en ai déjà parlé, mais, c'est si difficile actuellement et les plus florissantes sociétés réduisent leurs frais et leur personnel. C'est une question de patience encore. Aymard peut beaucoup de par sa situation. Nous verrons. Il faut s'en remettre dans la main de Dieu, s'aider - Aide-toi, le Ciel t'aidera, dit le vieux proverbe. Continuons donc à lutter  -  Chaque jour suffit à sa peine - Ayons courage -

Le vacarme de cette rue est assourdissant. Mon Dieu, avoir du silence et un peu de calme -, une vie faite de douceur — Je vais reprendre ma vie, mes gens, mes rendez-vous. Je viens avec toi. Cette lettre est la dernière à Bühl (°). Ne maigris plus. - Plana a mangé devant son petit lit et Jean devant son  vileau(?). C'était exquis pour moi de les voir devant ces jouets que tu as choisis et que tes mains ont touchés.-

Reviens à Paris en bon état. Dis "au revoir" à  Bühl, aux astres, au paysage, à la gare. Dis à toutes ces choses que nous reviendrons si Dieu veut.

                                                           Je suis à toi, mon Eliane, pour

                                                           toujours

                                                                       ton  Illan

(°)  Claire  fait une cure à Bühlerhöhe-Baden du 31 mars au 14  mai 1931

SDdV 510.306 ¹

Dimanche soir 10h½

Mon Eliane adorée, Je suis encore tout bouleversé par le son de ta voix.Elle était si claire, elle reflétait si bien ton âme, elle était tellement toi. - Cette semaine doit être une semaine décisive pour moi, pour nous.  Les Grosses affaires que j'ai en train doivent se décider cette semaine. Je ne parle pas de l'hôtel de l'Av. Hoche montré à l'Anglais qui a eu une très bonne impression, mais cela ne se fera que dans quinze à vingt jours, ni dans la vente de quinze immeubles rue Marbeuf pour 70 millions, au sujet desquels j'ai rendez-vous mardi, mais j'ai une ouverture de crédit qui devrait être faite avant la fin du mois et sur cela, je compte bien - je serai  fixé mardi -, et un prêt hypothécaire de 70 millions qui devrait être décidé également dans le courant de la semaine - J'ai l'affaire Ummeyer, mais elle ne se fera pas de suite, et j'ai demain peut-être la vente d'un Watteau que je montre dans l'après-midi — Pour la Grande Armée, qui aurait été signée sans nous, je ne sais pas encore si l'affaire est faite. - Mercredi, j'ai un Conseil d'Administration pour la Société de Produits chimiques dont les gens de Toulouse se disputent avec ceux de Paris, mais j'ai été diplomate et je suis bien avec les deux groupes. Pourrai-je partir Samedi matin si ma présence ?

(mardi)

Je ferai tout ce qu'il faut pour partir samedi. Je n'ai pas d'argent. Je tâcherai de m'en procurer pour cela. Demain, je dois avoir une réunion pour la Société de Produis chimiques qui me doit de l'argent et je demanderai un acompte aux gens de Toulouse qui tiennent à être bien avec moi - Je te montre tous mes trucs !

Ce qui pourrait me retenir, ce serait la signature pour samedi ou lundi d'une affaire importante et qui serait, mon Ange, le sauvetage complet * Mais je ne puis y songer.

                                                                                                                         je t'aime

                                  

mardi 3 J.

Mon Eliane, mon Amour. Tu as eu raison de me parler de tes ennuis matériels : je te l'avais demandé et je ne t'ai jamais caché les miens. IL faut savoir le plus possible de celui que l'on aime. Je veux te parler tout de suite de la reconnaissance. Ecoute-moi bien -  Tu te rappelles quand, en juillet, j'étais désespéré de ne pouvoir envoyer 50 francs pour ta chaîne ? En quittant Paris, ne décembre dernier, j'avais donné la reconnaissance à Mr Mangin,  5, Bd des Italiens qui m'avait avancé 50 frs. dessus. J'avais payé les intérêts (5 frs. Par mois) sauf une fois, que je t'avais priée de lui envoyer cette forte somme - C'est lui qui s'est chargé de payer les intérêts au Mont-de-Piété après les 6 mois, il a payé et m'a fait savoir combien je lui devais. Cela formait une cinquantaine de francs, et c'étaient ces cinquante francs que je voulais lui envoyer. Voici une carte de lui, pour que tu saches bien son nom et son adresse et voici une carte de moi pour que tu règles avec lui. Car il y a les deux hypothèses : ou bien il a laissé vendre le bijou, et je ne le crois pas car il a renouvelé à l'échéance, ainsi qu'il me l'avait écrit, ou bien il a continué l'opération. Enfin, va le voir. C'est un brave homme, malgré le métier qu'il exerce.  En lui payant les cinquante francs et les quelques mois d'intérêts jusqu'à présent, il devrait te rendre la reconnaissance. Et alors, tu pourrais alors dégager la chaîne et la vendre si tu veux ou bien la garder. Tu peux te défendre avec lui, car en lui donnant la reconnaissance sur laquelle il m'avait avancé 50 frs., je lui avais dit qu'il s'agissait d'un ami qui m'avait demandé de lui rendre ce petit service, dans ce cas, c'est toi l'ami — Comme il m'est pénible de savoir que tu te débats dans de misérables ennuis d'argent, mon Eliane, et de ne rien pouvoir pour le moment ! J'ai accompli, comme je te l'ai dit, plusieurs petits miracles qui m'ont permis de vivre et d'envoyer quelques francs à St-Brion (?) pour mon petit Jean. Ne meurs pas de faim, mais depuis que je suis rentré à Rome, je n'ai pas pu donner un centime à l'hôtel Hassler (?). Je dois deux mille francs. On ne me fait pas d'ennuis, car ils me connaissent. Mais cela ne peut évidemment pas durer longtemps.

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carte de visite Marquis de Casa-Fuerte

                          Alvarez de Toledo

avec ce texte :                                                                       et au dos

____________________________________          __________________________________

            Cher Monsieur Mangin,                                             de l'hiver dernier. Je lui don -

        je vous présente Madame          

                                                                                              ne, à  cet  effet, les  plus  am -

            Marquis de Casa-Fuerte                                           ples  pouvoirs.

                 Alvarez de Toledo

                                                                                              Croyez - moi, votre

      Claire Lang qui vient régler

                        la petite opération                                          Casafuerte

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1 b.

Vraiment Saint-Pierre m'a toujours donné de cruelles désillusions. Cette majestueuse froideur, ce colossal du pompeux, ces statues représentant des géants de l'histoire de l'Eglise, ces mosaïques trop reluisantes, ces colonnes torses païennes. Il est vrai que les anges du Bernin sont merveilleux encore qu'énormes, que la grande place bien connue est magnifique, et d'une proportion et d'un dessin uniques –

J'ai voulu aller au bureau de Poste du Vatican. Un garde suisse, trouvant que j'avais probablement que j'avais l'air peu étranger, puisque je n'avais pas de guide à mon bras, m'a demandé avec un accent germanique ce que je désirais 

ce sont tous des suisses allemands  – Je lui ai répondu que je voulais acheter des cartes postales    Le bureau de Poste est allemand 

On y parlait toutes les langues et des Français jacassaient comme aux Galeries Lafayette 

Je suis allé déjeuner dans un restaurant hongrois, juste en face de Saint-Pierre, d'où je t'écris. J'ai mangé du jambon, bien entendu de Prague,, du Goulasch, du raisin, que je pense venu de la campagne romaine, et j'ai bu de la Pilsner Urquell. Je suis dans un charmant Schattiger Garten. Les tables sont occupées par des citoyens de l'Europe centrale, sauf quatre séminaristes anglais. Le toit est en verdure, est au centre, il y a un petit bâtiment qui a les prétentions de grandir. Voici la photographie du Garde qui m'a interpellé tout à l'heure. Son costume a été dessiné par Michel-Ange. Mais pourquoi suis-je seul à cette table ? Pourquoi n'es-tu pas avec moi, mon Ange ? Pourquoi es-tu  seule à la table de Challes ?

Je rentre en Italie !

                                   Je t'aime

                                               Illan

De l'Hôtel 6 h.

Mon Eliane, En Italie, j'ai retrouvé Peppino, que je quitte à l'instant. Demain matin, nous irons avec son auto à Baliano (?). Je viens de télégraphier là-bas, pour qu'on nous attende. J'espère bien tout régler, revenir ici demain soir même. Lundi matin, je te télégraphierai car je pourrai fixer mon départ. Peut-être pourrai-je partir mardi matin et être dans tes bras mercredi-matin.

            Mon Amour, mon Amour, à toi tout moi

                                                                       ton

                                                                                     Illan

                                                                                 

Lettre Ivan Goll (Berlin) à Claire (Paris) du 1.II.1931

                                                                       Dimanche 1. II. 31

Chère Zouzou

Je vais te faire mon rapport sur le Bal de la Presse ; ce n'était pas un bal, mais une promenade triste à travers les salles du Zoo. Dans une des salles principales, il y avait une loge officielle et le flot des fracs et des redingotes tournait autour de cette salle, en rond, comme dans une cour de prison. A d'autres tables, étaient assises des délégations de grands-mères avec leurs diamants, celles du monde théâtral et du cinéma, avec de jolis dos, celles de l'armée avec des croix de fer, etc... Effrayant ! Chacun n'était là que pour lui-même. Chacun voulait être contemplé bouche bée. Il en résultait que personne ne voyait rien, ni n'était vu. Ensuite, il y avait les tables. Ceux qui se connaissaient s'étaient rassemblés en constellations. Là, on était entre soi, comme à la maison. Je connaissais seulement les Stern, qui avaient à leur table les invités habituels de leur salon. Mais, Betty par ailleurs a été très gentille : elle me prit par le bras pour faire un tour dans les alles, et à chacune de ses relations, elle criait : c'est Yvan Goll ! A vrai dire, cela leur était terriblement égal. Mais, tout compte fait, ça a fini par deux conversations plus tranquilles avec deux dames intéressantes : Sibylle Binder, qui était magnifique : longue robe de soie blanche, petit boléro de dentelle noire, gants et souliers rouges. Le raffinement même. Et Agnès Straub, avec qui je me suis aussi beaucoup promené.

Plus tard, nous allâmes au bal masqué de la Volksbühne, où c'était plus gai, naturellement. Là, Mme Straub m'a présenté au metteur en scène Aufricht, qui s'écria : « Je sais, je sais déjà ! vous avez 2 pièces, Mme Stern me l'a dit tout à l'heure. Apportez-les moi !» Aufricht a le théâtre du Kurfurstendamm. Etaient également présents Francesco et Mendelsohn.

            Aujourd'hui dimanche, la journée s'est présentée tout autrement. Georges Manfred, qui habite maintenant à Berlin, 10, rue Bach, près de la gare Tiergarten, avait invité les gens les plus en renom à une discussion sur le "drame contemporain ",  le drame didactique:  il y avait Brecht,  Döblin,  Diebold,  Faktor,  Herzfelde,  Wolfenstein,  Willy Haas,  Kersten,  Guilbeaux,  Cranach,  Carola Neher,  Marina,  Werner Hegemann,  etc. etc…Rien que des chefs de file.      Donc, en face de ce bloc, Brecht dont on a représenté récemment un drame didactique communiste "Die Massnahme ",  et qui affrontait ces artistes et ces critiques,  pour la plupart libéraux,  avec une superbe et une ironie que j’admirais,  prit la parole. La discussion déviait sans cesse et s’éloignait du sujet,  c’était un chaos incroyable d’idées,  de thèses différentes. On n’arrivait pas à y voir clair. Et comme s’était bienfaisant pour moi,  qui ne pris pas la parole,  d’observer cet abîme de sottises émanant de porte-plume les plus lus !  Seul,  Brecht était supérieurement brillant.

            Georges Manfred et sa femme, très gentils. Nombreux sont ceux qui ont demandé de tes nouvelles. Il y avait des petits fours et des boissons de premier ordre. Mais une réunion de ce genre n'a lieu qu'une fois ou deux dans la saison.

            Demain, une nouvelle semaine commence. Jusqu'à présent, rien n'est encore atteint. A qui donnerai-je d'abord la Mélusine; après Lisl ? Chez Bloch Erben, je rencontre Kronscher, qui est justement ici. Mercredi soir, je parle à la Radio.

            Malheureusement, Piscator est en prison depuis 3 jours, ce qu'on a beaucoup déploré à la réunion chez Georges Manfred

            Je te remercie pour ta lettre et pour les Nouvelles Littéraires, je t'envoie l'almanach du Bal de la Presse et la "Radio"

             et reste ton vieil

                        Ivan

Je t'enverrai demain 100 marks.

Claire Goll & Ivan Goll,  Meiner Seele Töne, Scherz,  1978 (p..58-59-60).

nouvelle édition annotée avec de remarquables commentaires de Barbara Glauert.

La traduction française de ces lettres, due à Claire Goll, reste inédite à ce jour.

Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig  du 22/2/1931 à 18h20 IsmL p.5

Suis désolé - impossible de venir aujourd'hui souffrant de doigts malades - Ivan

lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du 22 février 1931

(manque la première page égarée)

... J'ai aussi fait la connaissance de Paula Ludwig. Etrange fille de paysans, son père fabriquait des cercueils; une tête un peu "bois gravé", mais une belle âme? Elle évolue lentement et devient peu à peu une Lasker-Schuler chrétienne . Elle a aussi un fils de 13 ans, qui vit dans une colonie scolaire au bord de la mer. Enfant illégitime. Elle a été femme de chambre, modèle à Münich, souffleuse ; à présent, elle écrit des poésies dédiées à son petit garçon. Et quelle modestie dans la pauvreté !

Remarques-tu quelque chose dans mon écriture ? J'écris avec le pouce et le majeur, car mon index droit est malade de nouveau ; grosse bosse de pus, cataplasmes et toute la suite. C'est ainsi que je devrai écrire les scènes de "Germaine" (Berton).

Beaucoup de tendresse de ton Ivan. MST p.60

lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du 25 février 1931 MST p.61

                                                                       Berlin, 25 Févr. 31

Chère Zouzou,

             Betty vient de me téléphoner et elle m'a lu ta lettre d'une voix enthousiasmée, disant que cette lettre est géniale, bien plus belle que tous les Youssouf  de la Lasker-Schuler, et qu'elle la porterait dorénavant sous son corset, sur la peau (pauvre lettre !). Par ailleurs, elle a de plus en plus la folie des grandeurs ; encore aujourd'hui, elle rêve de cette réception dont le compte-rendu a paru dans le "Petit Journal" que je t'ai envoyé. Tous briguent ses faveurs, et tous se moquent de ses prétentions.

            Je travaille comme un enragé à cette conférence radiophonique sur James Joyce. Pioché encore une fois tout le texte d'Ulysse ! En outre, je souffre à devenir fou, depuis 3 jours. Mon doigt est presque guéri - dimanche soir, je n'en pouvais plus et j'ai couru à 11 heures chez le Dr Gumpert, qui l'a incisé - mais à présent, un nouvel abcès commence à me pincer l'omoplate. C'est horrible. Quand serai-je enfin délivré de cette calamité ?

            En ce qui concerne les fonds : voici d'abord 2 chèques. un de 323 frs 75, pour nous débarrasser définitivement du boucher (un autre abcès) - porte-lui le chèque. Ensuite, un chèque de 1500 frs pour toi. Je ne puis absolument pas envoyer plus que ces 1800, pour l'instant. Fais patienter Ozenfant et le pharmacien jusqu'à mon retour. Peut-être aurons-nous une rentrée avant. Je t'ai écrit, la dernière fois, que j'ai de nombreuses choses en perspective, mais seulement si j'ai de la patience.

            Espérons que nous saurons bientôt quelque chose de certain sur la Bovary. Demande en tout cas, une option de 3 mois, immédiatement !

            Oui, d'après tout ce que j'entends dire sur les sanatoria, les prix de Bühlerhöhe me paraissent tout à fait acceptables. St-Hubertus, tellement près de Berlin, ne vaut rien, naturellement. Loschwitz aussi est une sorte d'îlot des nerfs. A Bühlerhöhe, je pourrai venir passer quelque temps, étant donné que je devrai travailler à Francfort, avec Sassheim, à la "Kapellmeisterin".

            As-tu vu, entre temps, Mme Hesterberg ? Tu n'as jamais écrit comment les choses ont fini avec Desnos. La Symphonie de psaumes, de Stravinsky, a été donnée ici, à Berlin, avant de l'être à Paris.

                        Avec tendresse

                                               Ton

                                                           Ivan

Ivan Goll à Paula Ludwig : pneumatique du 27/2 à 18h IsmL p.5

Viens vers minuit                   I.

Ivan Goll :  2 mars 1931,  poème pour Paula Ludwig IsmL p.5/6

lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du samedi 7 mars 1931  MST p.62/63

Chère Suzu,

Que ta dernière lettre était merveilleuse ! Si sûre et si compréhensive. La voix de ton cœur est un alto apaisant. Oui, je suis maintenant très bien installé chez Paula Ludwig. Elle m'a très bien soigné pendant ma maladie. Ce furent des jours terribles. J'avais un vrai bubon de pus, ce qui ne m'est encore jamais arrivé. Finalement, j'ai dû faire venir un médecin, le Dr Pinkus, qui m'a soulagé aussitôt. Mais j'ai porté, longtemps encore un pansement, et n'ai pu me montrer nulle part. A présent, je redeviens lentement un Européen.

            Dans mes travaux aussi, j'ai été très gêné. J'ai pu tout juste encore mettre au point, en partie, le montage sur Joyce : car la Radio va l'étirer : une heure et demie à notre disposition. D'abord une courte discussion entre Hirschfeld et moi, au sujet de Joyce, puis des lectures extraites des divers chapitres d'Ulysse, par des acteurs de premier ordre, et enfin, le disque enregistré par Joyce.…et cela nous rapportera aussi un beau petit pécule.        Mais toujours encore, je n'ai de l'argent - qu'en perspective ! Néanmoins, j'ai une grande surprise pour toi :  je t'ai acheté un châle chinois en soie, avec de grandes fleurs rouges sur fond blanc, brodé sue les deux faces, avec des franges nouées à la main. Il m'a coûté cher, mais c'était tout de même une occasion. A Paris, il coûterait trois fois plus. Très grand. Et beaucoup plus beau que les châles espagnols.

            En es-tu heureuse ? Cela me fait si mal d'apprendre que tes bronches ne sont toujours pas en bon état. Pourquoi traînes-tu dans ce climat pseudo-printanier de Paris ? Naturellement, il a toujours été malsain. Je te conseille vivement de partir le plus tôt possible pour Bühlerhöhe.  Les prix dont on t'a parlé sont réellement doux auprès de ceux que l'on entend ici. Venir à Berlin, je ne te le conseille pas. D'abord, à cause de ta santé. Et puis aussi, parce qu'au point de vue affaires, il n'y a rien de neuf à espérer. Les Moser Ullstein licencient, tant qu'ils le peuvent. Ils ne veulent souscrire de nouveaux engagements sous aucun prétexte. Pinthus m'a dit qu'il n'y a aucun espoir que la "8-Uhr-Abendlblatt" m'engage ferme en ce moment, même pas à 100 marks par mois, pour lui fournir plusieurs articles. Tous les journalistes se plaignent. Même le traitement de Bloch va être diminué.Dans ces conditions, je n'ose même plus avouer à qui que ce soit que tu reçois 100M. par article, comme par le passé. Tu es une exception tout à fait inouïe. Et, de plus, on imprime un si grand nombre d'écrits de toi ! Oui, mais aussi, ils plaisent tellement partout où j'en entends parler ! Tu as maintenant entre les mains un joli monopole.

            Je dois aller finalement, de toutes manières, à Francfort, au cours du mois de mars : donc, nous nous retrouverons là-bas. Ensuite, on sera à la veille de Pâques. Tout le monde ici pense déjà à partir en vacances.

            Mais que ferons-nous de Rosa ? Je suis absolument d'avis qu'il faut la congédier avant ton départ. Elle nous a rendu les meilleurs services, cet hiver ; en été, nous serons, l'un et l'autre, très peu de temps à Auteuil. A la longue, elle serait une charge trop lourde et inutile. Dans un tel cas, il n'est pas nécessaire de faire du sentiment.

            Je me réjouis beaucoup du pyjama : demande un numéro pour un homme grand, très mince, de longues manches, une taille très fine, col 40.

            N'oublie pas la Bovary ! Nous pensons maintenant à la faire jouer par Lisl (°)

                                               En grande tendresse

                                                                       Ton

                                                                                   Ivan

(°) Elisabeth Bergner

lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du jeudi 12 mars 1931  MST p.63/64/65

                                                                       Berlin, 12. 3..31

Chère Zouzou

            Depuis trois jours, violente tempête de neige sur Berlin. Elle mugit autour de l'atelier, d'une façon inquiétante. Par les vitres cassées, la neige entre en tourbillonnant. Les pièces sont difficiles à chauffer. Il faut être encore romantique comme je le suis pour aimer tout cela ; mais jamais je n'oserais te conduire sous un abri aussi inconfortable, bien qu'il soit situé sur le Kurfurstendam, mais le pavillon, qui plane au-dessus des toits, contient une bohème des plus modestes.

            Pour d'autres raisons encore, il n'est vraiment pas à conseiller que tu viennes maintenant à Berlin. Comme je te l'ai dit, il ne faut pas penser à de nouveaux contrats en ce moment. Tu sais que les Allemands tombent toujours dans les extrêmes : autant ils étaient larges naguère, autant ils sont maintenant rétrécis : la conjoncture des restrictions est un fait, et personne ne se risque à faire exception. L'exemple de la "8 Uhr Abendblatt" est typique. Chez Mosse par exemple les coursiers et les dactylos sont congédiés, et Pinthus, entre autres, doit s'offrir une dactylo personnelle.

            Et pourquoi faire ce détour, puisque je dois, de toutes manières, redescendre bientôt ? Le mieux est donc que tu attendes la fin de ton indisposition et que tu voyages alors, sans hâte vers Bühlerhöhe. Mais tu devrais t'y annoncer dès maintenant. Vers Pâques, il y a plus d'affluence.

            Au début de la semaine prochaine, je te ferai envoyer encore une fois 1500 francs de Zurich. Cela suffira bien pour le voyage ?

            Le cas Rosa n'est pas aussi simple. Tout ce que tu décideras sera juste et bon. Mais elle me fait pourtant l'effet d'un fardeau. Une entrave à ma liberté. Je me propose de ne plus coller aussi étroitement à Paris, de me déplacer beaucoup plus qu'auparavant, de voyager beaucoup au printemps et en été. Puisqu'aucune profession fixe ne m'enchaîne, Dieu merci.

            L'avenir idéal, voici comment il m'apparaît : milieu d'avril, toi et moi, encore en Allemagne. Ensuite, deux ou trois semaines à Paris. Pas plus. Et un grand voyage d'été, aux eaux ou à la mer. Durant des mois.

            Tu éprouves probablement un grand besoin de repos : et Rosa représente à tes yeux une certaine sécurité. Peut-être as-tu raison. Mais d'ici, j'envisage la situation sous un autre angle. Donc, je te laisse le choix. Pendant notre absence, elle serait obligée de travailler au dehors, pour gagner sa vie, ne recevant plus de nous que la moitié de ses gages mensuels et le logement. Je crois que, même ainsi, ce serait pour elle une excellente solution.

            Et maintenant, Bovary. C'est La Lisl qu'on a maintenant en vue pour ce rôle. Elle a eu vraiment un très grand succès avec son premier film parlant "Ariane" (Claude Anet).Elle a atteint le rang de première star allemande du film sonore. Sans le moindre doute, dans toute la Presse.

            Elle m'a dit qu'elle pensait déjà depuis longtemps à Bovary. Plusieurs auteurs de scénarios, dont Harry Kahn, flirtent depuis longtemps déjà autour de ce sujet et autour d'elle. Par conséquent. Il est essentiel que tu nous assures immédiatement la priorité, ne te relâche pas, rends-toi, samedi matin, encore une fois, personnellement, chez Bloch ; insiste, promets tout, fais-toi donner une option. Il faut qu'on nous la donne de suite. Il ne faut tout de même pas que la mort d'une vieille femme mette tout à l'eau. Une petite fortune est cachée là. Tant que nous n'avons pas Bovary, il ne faut pas que tu quittes Paris.

            

                                               En grande tendresse

                                                                       Ton Ivan

S'il te plaît, envoie-moi tout de suite le livre de Laforgue "Berlin", qui doit être sur la pile du coin, sur ma commode.

Les 20 M. sont déjà donnés à ta mère depuis lundi. Je me réjouis pour le pyjama.

Ivan Goll de Franckfort à Paula Ludwig télégramme du 29/3/1931 à 9h40

Je t'aime - Ivan

Ivan Goll à Paula Ludwig télégramme du 31/3/1931 à 11h45

Accompagne Claire malade au Sanatorium de Bühlerhöhe - irai demain à Franckfort - retour dans tes bras le lendemain Vendredi-Saint -   PARCIGOLL

Ivan Goll à Paula Ludwig : longue lettre du 1er avril depuis Bühlerhöhe **** IsmL p.7/8

Ivan Goll à Paula Ludwig : autre lettre du 2 avril depuis Bühlerhöhe  IsmL p.8

Bühlerhöhe où Ivan va rester jusqu'au 8 avril avant de revenir à Berlin

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Bühlerhöhe-Baden du 8 avril 1931 *** MST p.65/66

Chère Liane nouvellement fleurie,

            Comme tes deux lettres du vendredi-saint et du dimanche de Pâques étaient pieuses : la piété de l'amour, la piété de la vie. Amour né de la douleur, toi ma ressuscitée ! Comme tes yeux, qui ne sont pas terrestres, ton sentiment devient plus grand que nature, il s'accroît, devient la mer, m'inonde, me submerge : tu triomphes.

            Ceci est le premier cri que je t'adresse de Berlin. Je sais maintenant que tu as vaincu, tu n'auras plus jamais à être triste, à l'heure cosmique du réveil, à l'heure du merle. Je t'aime.

            Je t'aime pour toutes les raisons et toutes les déraisons.

            Mais je t'aime aussi pour la sagesse avec laquelle tu laisses mûrir et tomber ce qui vit, * l'été brûler et se faner, sachant que des printemps sont là, derrière, avec nos violettes à peine fleuries de la Forêt noire.

            Certes, dois-je le dissimuler ? Un feu de la Saint-Jean flamboie sur le toit de Halensee et un tel incendie est rare sur les collines de l'Aujourd'hui. Et ce flamboiement va bien à mes joues longtemps solitaires. Avoue-le, comprends-le. Et sache : les feux de la Saint-Jean ne durent qu'une nuit.

            Moi, je brille plus que je ne brûle.

            Et je me réjouis d'avance d'une lumière plus sereine et plus intérieure, comme la lumière florentine, que le mois de mai nous promet. Je me réjouis de deux grandes étoiles, dans lesquelles rien ne vacille plus, où veille une clarté déjà divine, et qui sont toujours au ciel, même le jour, quand on ne les voit pas, même mortes, quand elles ne s'éteignent qu'en apparence.

            Toi, tes yeux. Et tu peux faire ce que tu veux, tu ne peux plus les cacher ! Les autres aussi commencent à découvrir leurs rayons célestes. Même si tu baissais tes cils. J'ai trouvé le mot : je parlais de feu, de brûlure et d'éclat : mais toi, tu rayonnes, comme un diamant secret, comme un bijou de radium ; tu es tous les lointains, toutes les terres, tous les cieux. 

            En même temps que la troisième lettre, est arrivée une note de la Schweitzer Bankgesellschaft, disant qu'elle t'a envoyé les 200 M. Mais à quelle date ? Le 7 avril. Ah ! terrible m'est la pensée que tu n'as pas reçu cet envoi à temps et que tu t'es désolée. Ces Suisses, ils ne pouvaient donc pas te faire l'envoi, en vitesse, le samedi !

            Etant donné que tu devras, cette fois-ci, être d'autant plus ponctuelle, je te donne ci-inclus, tout de suite, 100 M. qui suffiront bien pour cette semaine, si tu paies le dimanche.S'il te plaît, dis-moi régulièrement combien il te faut.            

            Comme je suis heureux que les gens de là-haut soient tous si gentils pour toi ! J'en suis heureux, mais je trouve cela naturel. tu es l'être fabuleux qui manquait à la Foret Noire. La chambre à loggia, la sympathie des infirmières, la louange des Grossmann, c'en est à peine assez pour toi. Toute la louange du monde t'est due.

            Tu es là, maintenant, dans les mains de Strohmann, fais-lui confiance. Ne te laisse pas sans cesse influencer par du nouveau. La foi est efficace. Même si un diagnostic berlinois était différent : la guérison de ton intestin ne peut être obtenu que grâce à la patience et en fortifiant le reste de l'organisme.

            Notre arrangement-radio sera émis lundi prochain, 13 avril à 11 heures 1/2 du soir, je crois. Insensé ! Je t'enverrai vendredi le programme. En tout cas, il était grand temps que je retourne à Berlin, pour la répétition.

            Ensuite, j'aurai du temps pour "Germaine".

            En attendant d'entendre ma voix (réellement, cette fois) écoute le battement de mon pouls.       

                        Ton

                                   Ivan

Claire à Bühlerhöhe-Baden à Ivan Goll à Berlin  du 9 avril 1931  MST p.67

                                               Sanatorium Bühlerhöhe

            Chéri   Joints quelques bouts de papier qui te concernent. Avant tout, Daniel a versé de l'argent. Dis, quand recevrai-je les premières scènes de "Germaine" ? Ecris-tu quelque chose pour l'Intran ou sur la France, pour des journaux allemands ? Fais-tu des poèmes ? Manges-tu bien, aimes-tu beaucoup ?

Moi, je vais beaucoup mieux. Aujourd'hui, grand examen intestinal et j'en suis effrayée. Je suis souvent invitée chez les Strohmann, lui et elle sont des gens très distingués et très aimables.        

            Aujourd'hui, il y a du soleil, les oiseaux chantent et je suis presque heureuse. Mais, comment ne le deviendrais-je pas avec tous les fortifiants que je prends en ce moment ! En pensée, je peux déjà arracher des sapins, mais seulement des petits-fils de sapins.

            As-tu écris à Rosa, lui as-tu envoyés les 200 frs ?

            Je trouve le livre de Klaus Mann si jeune, plein de curiosité et souvent sympathique. Il pense beaucoup, lit encore plus, aime et souffre ; je l'aime bien, quoique son article sur nous soit superficiel.

         Peux-tu m'expliquer pourquoi on lit dans la version française de l'Evangile de Saint-Jean :

            "Au commencement était le Verbe "

alors que c'est, en allemand :

            "Im Anfang war das Wort "

Dans Faust, Goethe se demande s'il doit traduire "Wort" par  "Tat".  Mais, "Verbe" inclut une toute autre signification ?

            Ecris-moi encore. Quel dommage que tu n'aies pas trouvé, ou peut-être pas cherché, un petit fer électrique de voyage, qui marche sur tous les voltages, cela m'aurait évité ici bien des frais de blanchissage.

                        Avec mon ancienne grande tendresse

                                                           Ta

                                                                       Liane

Télégramme d'Ivan Goll Berlin  à Claire à Bühlerhöhe-Baden  du 11/4/1931 à 18H30

                                               de Berlin Halensee 9.    18.30

Crains Ivan le Terrible   

Le Journal des Poètes 1ère année, n° 2 - 11 avril 1931-

Yvan Goll : Rue de la mort et reproduction du dessin de Chagall

(couverture de " Poèmes d'Amour", Fourcade 1930) Bruxelles.

Sous ta poitrine de ciment,

Sous tes paupières de fer,

Ville narcotisée,

J'entends ton sang qui bat.

J'entends tes femmes qui chantent,

Sources chaudes souterraines ;

Tes escaliers qui pleurent

Et tes morts aux lèvres plombées.

Il y a les hommes qui se réveillent

Au milieu de la nuit,

Soudain ils comprennent

Qu'ils ont oublié de vivre.

Des rues désespérées

Courent en vain après le ciel

Et tremblent

De tous leurs réverbères. 

Est-ce toi, solitude ?

Qui grelottes sur la Place

Dans ton manteau de vent,

Prostituée qu'aime un poète ?

Un autobus malade

Transporte les soucis des gens

De l'aube au soir et retour

Sans jamais calmer son angoisse.

Quelquefois une porte

Restée ouverte

Comme la bouche d'une morte...

Je suis son dernier confident.

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Bühlerhole-Baden du 3 mai 1931***  MST p.68/69

                                                           Berlin  3 mai 31 [dimanche]

Plus que Liane,

            Je t'envoie ci-joint la fin de la pièce : les 6 dernières scènes. Entre temps, j'ai également trouvé un titre : "Die Jungfrau de Paris", qui semble plaire généralement ici. Ton enthousiasme pour les 6 premières scènes me donne de la confiance, des ailes … Lipmann et moi, nous travaillons sans discontinuer, ces jours-ci pour arriver à la fin. Nous nous étions fixé le 3 mai comme dernier délai et nous nous y sommes conformés.

            A présent, vite l'organisation technique : demain lundi, nous portons la pièce à Oesterheld et à K. H. Martin. Après Martin, à Rheinardt. Il y aura certainement quelques jours de discussion - car au théâtre, comme tu le sais, rien ne marche sans encombre, et aussi, on ne trouve pas les gens comme on le voudrait.

             Quand vais-je partir ? Tu seras pourtant toi-même d'avis qu'il n'est pas sans importance pour moi de prendre part aux discussions. Je devrai partir en fin de semaine, 2 ou 3 jours à Munich…

            Perds-tu patience ? Comment avais-tu imaginé la chose ?

            Voudrais-tu rentrer à la maison ? Dis-le moi franchement. Et dis-moi si tu trouves qu'il est très nécessaire que j'aille te chercher à Bülhlerhöhe. Est-ce que le mari ne jouera pas maintenant un rôle moins brillant qu'au début, alors que nous tenions notre chambre verrouillée contre tous les intrus jusqu'à 11 heures du matin ? Et alors que, présomptueuse, tu expliquais au Dr Strohmann : "Mon mari et moi, vous comprenez, nous nous aimons tellement …"

            La cour que te fait Monsieur le Marquis a probablement chassé de  Bülhlerhöhe tout souvenir du tendre début d'avril... chez les laquais, veux-je dire, naturellement.

            Certes, j'aurais bien voulu apprendre ce qui ne va pas dans ton état de santé. Tu ne m'as jamais communiqué le résultat des examens.

            D'autre part, à mon retour de Munich, je passerai de toutes manières dans le duché de Bade. Cela, de toutes manières. Mais réfléchis bien. Je trouverais très naturel que tu me précèdes seule à Paris, de quelques jours : on te fera très bien tes malles à  Bülhlerhöhe, la correspondance des trains est très facile, le voyage agréable - seulement il ne faudra pas, cette fois, que Casa Fuerte aille te chercher à la gare, ni qu'il t'aide à défaire tes bagages... car ce serait alors très grave (et à quoi nous sert Rosa ?.... il ne doit pas savoir du tout que tu rentres seule.

            Si nous décidons cela, il en résulterait aussi qu'en passant par Nancy, je m'y arrêterais 24 heures - ce que je ne ferais jamais, ö grand jamais, avec toi ! En aucun cas. Nos retrouvailles ne devront pas se faire dans une pareille atmosphère. (Ce point est d'ailleurs sans importance : je pourrai aussi retourner à Nancy, de Paris, en 4 heures).

            Quoi qu'il en soit, je suis ici en pleins préparatifs de départ.

            Hier, j'ai été pour la dernière fois chez Else Herzog, pour y prendre enfin ta fourrure. Invité à déjeuner. Menu splendide. Mais quel bordel ! Rien que des couples de tapettes ! Elle s'en est plainte à moi : "Chaque homme amène ici son petit ami ; ah ! il ne nous reste rien, à nous les femmes !" Mais voilà de quoi elle s'entoure exclusivement. Dans sa maison immense, elle a plusieurs chambres pour ses "invités" de passage. Pouah ! rien que de les regarder...

            Je m'occuperai de toutes les autres affaires.

            Depuis hier, temps merveilleux ici.

            Depuis tes lettres de grande dame, j'ai préféré ne plus parler de Paula Ludwig. Tu as compris pourquoi.

          Car il faut que nous recommencions entièrement notre amour, depuis le commencement.

                                               Il n'en deviendra que plus fort.

                                                                                  Iwan

Ivan Goll à Paula Ludwig : télégramme du mardi 12 mai de Münich à 10.05  IsmL p.9

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre du 12 mai 1931 de Münich Hôtel Schottenhamel IsmL p.9

Ivan Goll à Paula Ludwig : longue lettre du 15 mai de Bühlerhöhe IsmL p.10/11

lettre poétique, parle de 3 poèmes de Paula qu'il va traduire pour Le Journal des Poètes

Ivan Goll à Paula Ludwig : longue lettre du 18 mai de Bühlerhöhe IsmL p.11/12

            …avec beaucoup d'amour de ton Ivan         

recopier mes notes

Du 19 mai au 28 août Yvan et Claire sont à Paris 19 rue Raffet.   

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre d'amour de Paris du 25 mai 1931 *** IsmL p.13/14

lettre au papillon "Quel droit avais-tu d'être méchante ?... Seulement on peut souffrir. Mais c'est ça l'amour..."

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre amoureuse de Paris du 29 mai 1931 *** IsmL p.15/16

Paula va en juin voir son fils à Juist avant de se rendre début août à Ehrwald, Ambach où elle reste jusqu'au 20 août

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre amoureuse de Paris du 4 juin 1931 *** IsmL p.17/18

James Joyce (Londres) à Ivan Goll (Paris) 30 juillet 1931

«… Maintenant aussi à Francfort la Frankfurter Zeitung du 19 juillet publie une page entière de texte pour J.J., auteur d'Ulysses, traduite du manuscrit anglais par Irène Kafka. Qui est-elle ? Où a-t-elle trouvé ce manuscrit que le journal m'attribue ? Je l'ignore. Je ne la connais point. Je n'ai jamais écrite cette sotte nouvelle qui s'appelle Vielleicht ein Traum aber bestimmt eine Schweinerei.»

Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Juist du 11 juillet 1931 à 11h10

été  malade -  lettre suit - de tout coeur - Ivan

Ivan Goll à Paula Ludwig à Juist : lettre de Paris du 10 juillet 1931  IsmL p.19/20

…et je t'embrasse       Ivan

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 3 août 1931  IsmL p.20/21

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du  7 août 1931  IsmL p.22

Paula Ludwig  à Ambach à Ivan à Paris : lettre du  7 août 1931 *** IsmL p.22/23/24

Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald du 10 août 1931 à 23h30 Gare du Nord

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du  11 août 1931 ***  IsmL p.24/25

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du  13 août 1931  IsmL p.25/26

Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald du 13 août 1931 à 16h50

N'ENVOIE-PAS LA LETTRE A BONSELS UNE AUTRE SUIT

Paula Ludwig  à Ehrwald à Ivan à Paris : lettre du 14 août 1931 IsmL p.27

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 24 août 1931  IsmL p.28/29

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 25 août 1931  IsmL p.29/30

Claire part le 28 août en cure à Challes-les-Eaux, Hôtel du Château.

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig à Ehrwald du 29 août 1931  IsmL p.30

lettre de Claire à Challes-les-Eaux à Ivan Goll à Paris  du 29 août 1931  MST p.69/70

                                                                                              [Challes-les-Eaux]

                                                                                              [Hôtel du Château]

                                                                                              [ samedi 29.8.31]

Mon petit Yvan,

Un si beau temps et tu n'es pas là ! Le court de tennis t'a déjà réclamé. Tout d'ailleurs t'a réclamé, depuis Rochette jusqu'à Pietro.

La maison était encore complète. Je remercie mon dieu spécial, car grâce à lui, j'ai pu être logée dans la plus belle chambre de l'hôtel, tout à fait derrière au 3 ème étage. Tout à fait tranquille, avec un balcon donnant sur les montagnes et la campagne; là je rêve, les yeux perdus dans le ciel, matin et soir, longtemps, jusqu'à ce que les anges en sortent. C'est une chambre à grand lit pour 2 personnes, elle devrait coûter 60, et mademoiselle Buet, me l'a laissée pour 55. On mange remarquablement bien, comme naguère, et je me dis à chaque plat que ces bonnes choses se transformeraient dans ton estomac en force et en globules rouges. Enfin, ce qui n'est pas sera sans doute bientôt.

            Où en es-tu avec Beye et le bouchon ? Si vous partez pour Marseille, dis à Beye de prendre une auto à l'arrêt le plus rapproché de Challes et vous viendrez me voir. Est-ce que Rose te soigne bien ? Manges-tu bien, dors-tu et …travailles-tu ? Je pense que, depuis longtemps déjà, les cigarettes ont teint en brun tes doigts et tes poumons.

Je me couche à 9 heures et je dors 9 heures sans moustiques. Ce soir, il y a des myriades d'étoiles, tout est encore très estival, mais il fait très froid le matin et le soir.  J'espère qu'il viendra bientôt du courrier. Sinon, on a l'impression d'être toute seule au monde.

            Etant donné qu'on paie toutes les semaines, tu devrais m'envoyer de l'argent mercredi. A part cela, je n'ai pas de frais ; Dufour m'a donné beaucoup d'entrées gratuites.

            Et maintenant, viens bientôt, ou envoie bientôt une feuille de papier à lettre couverte de petits oiseaux. je t'embrasse tendrement.

                                               Ta Zouzou

J'ai oublié le sablier pour les pulvérisations, et la vapeur abîme complètement ma montre. Il est violet foncé et se trouve peut-être dans un des tiroirs de la cuisine, ou bien au mur de la cuisine, là où les clefs sont pendues, ou encore éventuellement dans le tiroir à pharmacie, chez toi. (Ne pas confondre avec le sablier pour cuire les œufs dans la cuisine !)

lettre de Claire à Challes à Ivan Goll à Sori  du 31 août 31 ou 35 , n’est pas dans  MST

à traduire

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 4 septembre 1931  IsmL p.31/32

Du 16 au 20 septembre 1931, Ivan est chez sa mère, Rebecca Kahn à Nancy

Ivan Goll à Paula Ludwig à Berlin : lettre de Paris du 21 septembre 1931  IsmL p.32

Du 21 septembre 1931 au 31 décembre 1931, Ivan et Claire vivent à Paris,19 rue Raffet

et Paula Ludwig à Berlin.

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 26 septembre 1931  IsmL p.33

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 30 septembre 1931  IsmL p.34/35

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 4 octobre 1931  IsmL p.35/36

Carte postale d'Ivan Goll, Bruxelles  à Paula Ludwig Berlin lundi 12.10.1931  IsmL p.36

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 13.10.1931 à 10h35 IsmL p.37

à l'instant-même retour de Bruxelles à la maison après avoir reçu une merveilleuse lettre d'amour. Lettre suit                 Ivan

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 13 octobre 1931  IsmL p.37/38 ***

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 16 octobre 1931  IsmL p.38/39 *****

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 17 octobre 1931  IsmL p.39/40 ***

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du  17 octobre 1931  IsmL p.40/41 ***

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du  17 octobre 1931 IsmL p.41/42 *****

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 25 octobre 1931  IsmL p.42/43/44 *****

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 2 novembre 1931 à 11H IsmL p.44

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 2 novembre 1931  IsmL p.45/46/47 *****

Carte postale d'Ivan Goll, Bar-le-Duc  à Paula Ludwig Berlin 10 nov. 1931 IsmL p.47

(sur le trajet de Nancy)

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 14.11.1931 à 10h35 IsmL p.48

ANGINE

HOLLANDE IMPOSSIBLE

ECRIS SAINTS PERES                   GOLLIVAN

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 16 novembre 1931  IsmL p.48

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire du 17 novembre 1931  MST p.70/71

                                                           Paris  17 novembre 31 [mardi]

Chère Zouzou,

            Tu paraissais bien triste, aujourd'hui au téléphone. Mais aussi, nous n'avons presque parlé que d'argent, et je m'attriste moins de la tristesse en pensant qu'elle vient plus de la bourse que des cavités du cœur.

            Mais pour te distraire un peu, je vais te raconter l'histoire suivante. J'ai fait un pas de clerc. Et cela, auprès de Lisl (°). Dimanche m'est venue l'idée subite de l'appeler au téléphone. J'ai entendu nettement la gouvernante discuter avec elle de ce qu'elle aurait à me répondre, à savoir que sa patronne "n'était pas là".

            Là-dessus, j'envoie à Lisl la lettre ci-incluse.

            Et, c'est un fait : j'écume littéralement d'avoir porté pendant quatre ans la bague d'une personne, qui pendant ces quatre années, n'a même pas trouvé nécessaire de m'appeler au téléphone, ni de vouloir me voir.

            Cela ne va plus. Plus avec moi. Je ne suis (pour une dame dont je porte la bague d'amitié, ni un Feist, ni un Harry Kann, qui a la permission de lui rendre visite dans sa loge.

Ou bien la bague n'a aucune signification. Quand on me demande : Qui vous a donné cette belle bague ? je ne peux plus répondre : Mme Bergner. Car ce serait un mensonge.

            Le jour suivant, elle me demande au téléphone et dit qu'elle n'est pas fâchée. Que je vienne la voir un jour à l'Atelier. Je lui réponds : " A l'Atelier" ? comme Harry Kahn ? non ! Si tu m'aimes, comme tu l'affirmes (et c'est ce qu'elle affirmait au téléphone), alors j'exige seulement ceci : Que, dans le courant des 4 prochaines années, tu me téléphones au moins une fois de toi-même".

            Avais-je raison ?

            J'avais raison.

            Et maintenant, moque-toi de ton petit garçon.

                                                                       Yvan

Je veux porter maintenant, une bague venant de toi !

Je n'ai pas encore donné l'autre.

(°) Elisabeth Bergner, comédienne, belle et célèbre

lettre d'Ivan Goll Paris à Elisabeth Bergner 15 novembre 1931 MST p.71

            Lisl, (*)

J'ai donné aujourd'hui ta bague à quelqu'un d'autre. J'ai compris qu'elle ne signifie aucunement l'amitié, et j'ai honte de l'avoir portée pendant quatre ans comme symbole d'une erreur.

Je ne te la renvoie pas, car je ne veux pas que cette bague, qui contient en elle beaucoup de mon être, risque d'être donnée à quelqu'un qui le mérite encore moins que moi.

(*) Elisabeth Bergner

Carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin mercredi 18 novembre 1931 IsmL p.49

Iwan Goll : Stervend Europa, traduction hollandaise de Evert Straat (116 P.)

Amsterdam, " De Gulden Ster", sans date (1931)

Ce texte a été donné en représentation publique par Charlotte Köhler pour la première fois le 22 avril 1931 au Stadsschouwburg d’Amsterdam. Devant le succès,  il fut repris et redonné en présence d’Ivan Goll le 21 novembre 1931

lettre d'Ivan Goll Amsterdam à Paula Ludwig Berlin du 22 novembre 1931  IsmL p.49/50

Le Journal des Poètes 2ème année, n°2 - 22 nov. 1931- Bruxelles.

Douze poètes de l'Allemagne contemporaine (dont 5 traductions d’Ivan Goll : Le coeur d’Alfred Wolfenstein,  J.S. Bach jouant de l’orgue la nuit d’Oscar Loerke,  Pour Hilda de Jacob Haringer,  Mort argentée de David Luschnat et Poème  de Paula Ludwig.).

                        Poème

Je ne sais jouer que de la flûte,

Je n'ai que cinq sons …

Mais quand je la porte aux lèvres,

Les caravanes rentrent du désert

Et les oiseaux de leurs sombres ciels.

Les pêcheurs se hâtent sur le rivage,

Et le soir parfumé délaisse les Orients du matin.

Adossée à l'érable

Dans l'ombre de lierre

J'envoie ma chanson à ta recherche.

(Traduit par Yvan Goll)

C’est la troisième fois que les noms d’Ivan et de Paula sont juxtaposés ; leur aventure amoureuse commencée en février 1931 restera constante et passionnée, brisée par le départ d’Ivan avec Claire Goll pour les U.S.A. en août 1939

Carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin mercredi 24/11/ 1931  IsmL p.50

Suis de retour à Paris et rien de P. chez les saints-pères ?

                                                                       O

                                                                           I

                                                                                  wan

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 4 décembre 1931 ImsL p.51

lettre d'encouragement à poursuivre son œuvre à traduire

Carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin vendredi 11 déc. 1931 ImsL p.51/52

lettre d'encouragement à poursuivre son œuvre à traduire

Le Journal des Poètes 2ème année, n°5 - 12 déc. 1931- Bruxelles.

p.1 -2 Géo Charles : Interview de Claire et Ivan Goll sur la Poésie :

Geo Charles. La représentation de votre "Mathusalem" à Bruxelles, mon cher Ivan Goll, nous a fourni l'occasion d'apprécier, une fois de plus, une oeuvre du "Théâtre poétique moderne ".

Cette formule exprime bien la tendance et le mouvement de ce théâtre dit - toujours - "d'avant-garde" bien qu'il ait pris naissance longtemps avant la guerre. Je range sous ce signe : « Ubu Roi » de Jarry, « Les Mamelles de Tirésias » d'Apollinaire, certaines pièces de Ribemont-Dessaignes, et justement ce « Mathusalem ».... Pourriez-vous préciser votre conception personnelle quant à "l'esprit poétique" de cette œuvre ?

Ivan Goll : J'estime que toutes les pièces que vous venez d'énumérer sont avant tout, en effet, des oeuvres de poètes que j'opposerai aux auteurs dramatiques. Comment les distinguer par une formule ? Ceux-ci excellent à copier la vie au théâtre, tandis que les poètes ont avant tout le désir de recréer la vie. Ils ne veulent pas du tout en donner, par exemple, une image exacte, mais plutôt révéler la signification profonde des faits et des paroles qui unissent les personnages dans une action.

Geo Charles:  Et créer des prototypes ?

Ivan Goll : Oui. Et « Mathusalem » par exemple, c'est l'éternel Bourgeois. Il ne parle pas la langue courante du théâtre habituel et conventionnel. Il dit des phrases, les phrases-type que chaque bourgeois, dans n'importe quel pays, répète suivant sa prononciation. L'action de la pièce n'est pas individuelle et unique : le cas est applicable et nettement imputable à tous les bourgeois du monde entier.

Geo Charles:  Et rien de plus banal que les propos d'un tel héros !

Ivan Goll : «  L'expression » en est apparemment banale, mais avant tout elle est vraie. Et cette transposition du « vrai » me rappelle une autre formule, celle de « surréaliste » dans le sens où Apollinaire l'entendait. Vous savez, n'est-ce pas qu'il inventa le vocable « surréaliste » pour désigner précisément  « Les Mamelles de Tirésias » que vous citiez à l'instant parmi les pièces du théâtre poétique.

Geo Charles: En effet, c'est d'ailleurs dans la revue "Surréalisme" que vous avez dirigée que Pierre Albert-Birot a fixé ce point d'histoire de la façon suivante :  «....Quant au mot « surréalisme », nous l'avons, Apollinaire et moi, choisi et fixé ensemble. C'était au printemps 1917, nous rédigions le programme des « Mamelles » et, sous le titre, nous avions d'abord écrit « drame » et ensuite je lui ai dit : ne pourrions-nous pas ajouter quelque chose à ce mot, le qualifier, et il me dit en effet, mettons « surnaturaliste » et aussitôt, je me suis élevé contre surnaturaliste, qui ne convenait pas au moins pour trois raisons, et naturellement, avant que j'eusse fini l'exposé de la première, Apollinaire était de mon avis et me disait :  « Alors mettons   surréaliste ». C'était trouvé.... La lettre d'Apollinaire à Paul Dermée écrite également en 1917, et reproduite dans la même revue, confirme les souvenirs de Birot.... » Et vous Goll, rangez-vous « Mathusalem » sous la même formule ?

Ivan Goll : Mon Dieu, si une formule est nécessaire !

Geo Charles: Nous appelons les pièces de ce théâtre - et « Mathusalem » - poétiques. Certaines de ces oeuvres, et particulièrement la vôtre, présentent un curieux mélange de poésie et de prosaïsme....

Geo Charles:  Qu’en pensez-vous Claire?

Ivan Goll : J'attendais cette objection. J'ai donné à chaque personnage la langue de son âme. Ainsi, la jeune fille, Ida, sent et parle en vers, et je ne crains pas de lui ^prêter les images les plus lyriques, comme dans les pièces en alexandrins. Par contre le frère, voué aux affaires modernes, n'emploie que le style haché des appareils Morse. Et ainsi de suite ...  Mais le langage truculent et terre-à-terre du père n'est pas moins poétique que celui de sa fille, s'il crée l'atmosphère élémentaire du personnage.

Geo Charles: Vous confirmez l'impression que me laissa la représentation de Bruxelles. Du lyrisme pur cette réplique d'Ida :

« Je ne connais plus d'autre jour que celui-ci

Où des narcisses remplacent l'herbe des gazons.

Le soleil est un chrysanthème que tu m'offres,

Ton front pâle est une tour d'ivoire

Sur laquelle je monte pour voir le monde.

C'est toi qui bâtis les tours apocalyptiques,

Les temples d'Asie et les docks d'Amérique

Les places portent toutes ton nom,

Les horloges sonnent à chaque heure ton nom

Et les navires en mer ne sont partis que pour te voir.»

Ce poème pourrait très bien être tiré des « Poèmes d'Amour » que vous avez publiés avec Claire Goll.

Claire Goll: Oh, je n'accepte que les poésies qui me sont adressées personnellement !

Ivan Goll : Mais tout ce que j'écris s'adresse à toi ! Pour qui écrit-on, par qui veut-on être compris, sinon par l'être qu'on aime et dont on veut être admiré ?

Claire: Tu me trompes !

Ivan   : Avec toi-même !

Geo Charles: Je pense que vous allez faire dévier publiquement en "scènes de ménage" vos beaux " Poèmes d'Amour ". Au fait, si vous continuez, je pourrais dire que vos poèmes d'amour ne sont pas autre chose... finalement !

Claire: Eh bien, vous donneriez une belle idée de notre poésie !

Ivan   : Mais Claire, après tout, je ne serais pas éloigné de croire que dans les poésies d'amour de tous les temps, les poètes ne sont occupés qu'à exprimer à leur amante des reproches et, sous forme de compliments, des sottises !

Geo Charles: Qu'en pensez-vous, Claire ?

Claire: Pour moi il n’existe qu’une sorte de poésie,  celle de l’amour. Une femme ne doit chanter que l’amour. Ce n’est que par l’amour qu'elle participe de la vie du monde. Les seuls poètes que je relis toujours,  que je comprends et que j’éprouve jusqu’au fond des moelles sont Marceline Desbordes-Valmore et Elisabeth Barrett-Browning.

Geo Charles: L’essence de leur poésie est la souffrance.

Claire: L’essence de l’amour est la souffrance.

Ivan : - Peut-être y a-t-il là comme une accusation ?

Claire:  Non,  c’est une déclaration d’amour. Géo Charles notez vite. Je prétends que c’est celui-là (qui me fait tant souffrir) qui m’a faite poète. Je lui dois d’avoir appris à exprimer en vers cette affection que toutes les autres femmes expriment en soupirs.

Geo Charles: Vous avez su prolonger à deux - en des oeuvres toujours lyriques et en des "Poèmes d’amour" que je relis avec une joie critique sans cesse accrue - votre amour de la Poésie. Votre double rêve a su se réaliser et se poursuivre en cette époque si bassement matérielle,  si misérable,  selon un rythme de beauté et d’idéal !

Ivan :  Ce rêve nous sauve!  Tout ce qui se passe en dehors de lui et de notre amour devrait nous laisser indifférents. Nous sentons confusément que les soucis du jour sont des soucis bien lamentables,  mais aussi passagers. Les époques où l’humanité a faim,  reviennent toujours. Cette fois,  sa détresse provient de sa bêtise. Mais passons. Parlons d’amour qui est la seule raison d’être et qui est éternel. Thème peu actuel Thème qui le redeviendra au prochain printemps,  soyez-en sûr ! Sinon,  dans cent ans. Et il vaut mieux avoir raison dans cent ans que l’année prochaine. La vérité se mesure par siècles. »

Je laisse Claire et Yvan, assis en leur jolie terrasse d'Auteuil, dont j'aime tant caresser les feuilles. Lui, grapillait les raisins qui pendaient au vieux cep qui épouse la grâce de la balustrade, elle, appelait une demi-douzaine de pigeons blancs et leur donnait à manger dans sa main pâle … Les deux silhouettes, les bêtes et les choses, se composaient dans des attitudes qui me sont familières depuis longtemps … en cette petite terrasse du jardin automnal d'Auteuil qui m'apparaît toujours comme un carrefour rustique où la vie et la poésie viennent s'unir.

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 12 décembre 1931 ImsL p.52/53/54

lettre d'encouragement à poursuivre son œuvre à traduire

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 23.12.1931 à 12h10 IsmL p. 54

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 24 décembre 1931 ImsL p.54/55/56

lettre sur son livre " Dem dunklen Gott "

                                                                                  Paris 24 décembre 31

            Sainte Paula

Je tiens pour la première fois ton livre dans mes mains, c'est un grand, un

à traduire

« Mais hélas, Paula, quand vient la sentence : " Ce n'était qu'un humain ! Ce n'est qu'un homme !" 

Est-ce que tu me le pardonneras jamais ?»

                                                                                  Yvan   

                                                          

                                                                                  Paris 24 décembre 31

                                                           2

Paula, entzückend Mütterliche

Je dois te remercier aussi pour la ….

Dein Buch, auf dessen erster Seite du mir sechs Verse zurûck-rufst, die mir längst entfallen waren : du hast sie aufgehoben aus dem Staub meines Weges, und siehe, weil du sie so entzückend in deinen Händen präsentierst, sehen sie auch schon nach etwas aus. Deine Geste freut mich desalb, weil sie

à tradui

                                               1932

Télégramme  d'Ivan Goll Amsterdam à Paula Ludwig Berlin du 4 janv. 32 ImsL p.59

à traduire

Du 5 janvier à la mi-mars 1932 Ivan Goll habite chez Paula Ludwig à Berlin,

Claire est à Paris, 19 rue Raffet, puis une semaine à Cagnes avant de revenir à Paris

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin  du 9 janvier 32  MST p.72/73

Chéri  Aimé.

            Tu réussiras avec ta pièce. Mais patience ! j'ai une grande confiance en ta confiance.

Je suis très touchée que tu aies pensé à moi et, qui plus est, en laine. J'ai égaré le numéro de téléphone de Cassou, s'il te plaît, renvoie-le moi, je l'appellerai alors d'une voix très suave, une voix de 18 ans.

            Voudrais-tu chercher dans l'annuaire de Berlin l'adresse de Oscar Ludwig Brandt ? Il lit toujours des poèmes de moi à la Radio. Il m'a écrit, il en demande de nouveaux, et naturellement, j'ai jeté la lettre.

            Oui, j'ai été voir le "Maximilien". Pour des oreilles de spécialistes, c'est dynamique, contrapunctique, rythmique, certainement grandiose, mais musicalement triste et gris. Musique cérébrale. Le public est resté tiède. Le parterre applaudissait, en riant méchamment, aux passages les plus chargés de dissonances. Il y eut aussi des coups de sifflet. Ceux-ci, du moins, n'étaient pas antimélodiques. De toute manière, le texte de Werfel était tout à fait impropre à fournir un livret. J'avais une telle nostalgie de sons, de chants et d'émotion, que j'irai lundi à la Traviata. Et tout Paris naturellement. Je pensais tellement à toi que je restais très loin de Illan, et il déclara que je lui avais gâché sa soirée.

            Le travail va bien, le roman est presque fini. Hellé, disposée à dactylographier, m'a écrit qu'elle acceptait mon offre de pension : 30 francs par jour, pour des raisons de chauffage, de bonne, de nourriture plus soignée et à cause de mon estomac délicat. A présent, je peux déguster sans remords de conscience, et je n'attends que l'argent pour me mettre en voyage. Kurt viendra me chercher à la gare avec sa voiture. Il a écrit ; " Allah est grand et je suis son chauffeur ".

            Rosa a encore brisé, avec le manche de l'aspirateur, 4 carreaux de la lampe-Chareau. Elle éclaire maintenant très mal, mais je ne peux pas la remplacer. A part ça, Rosa est très gentille et économe. Nous vivons de nouilles et de salade, et malgré cela, mon intestin ne veut pas se mettre à la raison.

            Je suis heureuse que tu aies de nouveaux souliers. Puissent-ils te porter vers le bonheur et le succès !  C'est ce que souhaite de tout son grand cœur

                                                                                              ta petite Zouzou

A l'instant, la petite veste de laine ! J'en avais justement besoin d'une semblable, et elle est ravissante. Je baise la main qui a acheté cette cote de mailles en laine. Mais à présent, Chéri, j'ai assez de petites vestes. Et ne te laisse pas éblouir par les prix de là-bas, ne te laisse pas tenter. La qualité ne peut pas se comparer à celle d'ici, et ce n'est presque pas meilleur marché, d'autant plus que j'ai dû payer 5 frs de douane.

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin  du 12 janvier 32  MST p.74/75

Très cher,

            Reçu ta lettre. Non, il y a ici une erreur. Je ne considère pas mon voyage à Nice comme un contre-poids de ton séjour à Berlin; En ce cas, je devrais rester à Paris, car ici, je suis infortunée-bienheureuse. Je n'ai d'ailleurs l'intention que de rester quinze jours. Pas plus longtemps. Jusqu'à ce que le roman soit tapé. Et pendant ce temps, j'en discuterai avec Kurt Wolf. D'autre part, je pense que la mer et le soleil me feront du bien, car là-bas, c'est déjà le soleil et le printemps. Ne le penses-tu pas aussi ?

           Je ne congédierai donc pas Rosa. Elle coûte vraiment un minimum, je m'en suis assurée. Pourquoi ne pourrions-nous pas la garder, aussi bien que d'autres, qui ont encore bien plus de soucis pour garder leurs domestiques ?

            Je téléphonerai à Cassou, dès que j'aurai son numéro. Mais je te prie de m'éviter la visite à Joyce. Je ne pourrais d'ailleurs pas écrire un seul mot sur lui.

            A tes parents, j'adresserai quelques lignes gentilles, avant de partir. C'est pourquoi tu n'auras pas besoin de dire que je suis à Berlin.

            La phrase de ta lettre : " Nous n'aurons jamais rien à nous reprocher  l'un à l'autre", je ne l'accepte pas de toi, ou tout au plus dans ce sens, que nous nous reprochons de ne pas être assez heureux pendant que nous sommes séparés.

            J'ai, en ce moment, une période très lyrique, et suis contente d'en être presque à la fin du roman. Il y a tant de choses tendres à dire. Je veux, à présent, me transformer tout à fait, à nouveau. Ce n'est pas moi qui le veux ; ça veut. Revenir à moi, dans le rêve.

            S'il te plaît, continue à m'écrire ici, je te télégraphierai au dernier moment, juste avant mon départ. Tu sais bien combien il m'est difficile de m'arracher. Je préférerais traîner avec moi, comme un escargot, ma chambre et sa solitude, son tourment et sa nostalgie de merles.

            J'ai la Pedrazzinis :

            Demain, je serai interviewée pour "La Scène"[1], avec photo. Quelqu'un m'a téléphoné.

Ce serait un coup, si le Staatstheater acceptait ta pièce ! Qui est Bildt [2] ? Tu écris si rapidement. N'expliques jamais rien. Par exemple, tu ne m'as même pas donné la nouvelle adresse de Joyce et tu voudrais que j'aille le voir.

            Hier, j'ai entendu la Traviata (Dame aux Camélias) de Verdi, pour la première fois de ma vie. Au Théâtre des Gobelins. Dans un faubourg. Et pourtant, mes larmes ont jailli. Si on entendait beaucoup de Verdi, on deviendrait plus croyant et meilleur, car il remue le plus intime et le meilleur de nous. Et maintenant : tous mes voeux pour ton succès ! ! ! !

                                                                       En amour

                                                                                  Ta Zouzou

A partir du 14 janvier, Claire sera chez l'éditeur Kurt Wolf qui réside à Cagnes-sur-Mer, avec son épouse, pour son livre Un Crime en Province qu'elle a traduit en allemand "Arsenik".

Claire rentrera à Paris le 5 février.

lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin mercredi 20 janvier 1932  MST p.75/76

                                                                                                         mercredi

                                                                                                          [20.1.32]

Yvannot (Ivlein) Il pleut aujourd'hui. Naturellement, parce que nous voulions aller à Nice et au Cap Ferrat ! Les orangers, devant ma fenêtre se réjouissent de cette pluie, qui va faire grossir leurs fruits. Cette localité toute échafaudée sur des rochers géants descend au bas de mes deux fenêtres à balcon, et je comprends qu'ici les peintres ne sachent pas par où commencer, tant il y a de beauté. De l'autre côté, il y a la mer, et les jardins étagés avec des buissons de camélias et les mimosas, les cèdres, cousins de ceux du Liban.

            La maison de Kurt (*) est ravissante ; elle se compose d'un rez-de-chaussée avec salle à manger et cuisine ; au premier étage (mon appartement) comprenant une chambre avec balcon, une salle de bains avec tout le confort et le raffinement le plus moderne, puis un salon. Au-dessus, se trouve un immense atelier, où demeurent Kurt et Hellé.

            Je ne comprends pas du tout pourquoi nous n'avons pas toujours loué une maisonnette de ce genre ? Peut-on vivre ailleurs qu'au soleil ? Et pourtant, il est vrai qu'il est nécessaire d'y être doux et tendres l'un pour l'autre, comme le sont ces deux-là, car Kurt s'est prodigieusement transformé. Jamais il n'a été si digne d'affection (en tant qu'être humain) - je ne veux pas dire en tant qu'homme, - et si intériorisé. Imagine-toi qu'il nous prépare à tous le petit déjeuner, les toasts. Il met le couvert, il l'enlève, bref il est arrivé au point d'où tu étais parti, et son opinion est que cela seul est juste. Je lui ai demandé tout à l'heure, alors qu'il m'apportait mon thé au lit et me beurrait mes tartines, pourquoi tu ne peux plus le faire. Mais il ne peut pas t'expliquer à moi. Qui peut expliquer ?

            Je travaille beaucoup au roman, et sur moi-même ; si je n'acquiers pas ici l'esprit de mon âge, où l'acquerrai-je ?

            Je ne veux pas jouir, mais devenir. C'est là qu'est la différence entre nous.

            Et ta pièce, très cher ! J'attends enfin des nouvelles de toi.

Il y a des jours que je n'ai reçu un mot. Cela me rend inquiète.

            Si le Halensee n'est plus ce qu'il était l'an dernier, c'est de ta faute. Il faut faire d'un être humain que l'on aime, plus qu'il n'était, et non moins ; sinon, on s'est trompé.

...En toute tendresse et amitié

                                   Ta Zouzou

....Kurt  me prie instamment, pour la énième fois, de te dire que tu devrais lui envoyer Mathusalem, Mélusine et Pleite. Veux-tu ?

(*) Kurt Wolff, éditeur

Claire Goll: Un crime en province Roman, In - 16  254 p.

Paris Editions des Portiques,1932

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Cagnes/Mer du 22.1.1932  MST p.77/78/79

                                                                                  Berlin Halensee

                                                                                  22.1.32 [vendredi 22]

Chère Zouzou,

Ta première lettre de Cannes est bleue, détendue, pensive, franche, elle ne respire qu'amour pour ton "Yvannot".

Ce doux diminutif, plus doux qu'aucun autre, est adopté dorénavant.

            Yvannot te répond. Il répond à trois grandes et sérieuses phrases de ta lettre. Il croit pouvoir le faire.

             " Si je n'acquiers pas ici l'esprit de mon âge, où donc l'acquerrai-je ? Je ne veux pas jouir, mais devenir. C'est là qu'est la différence entre nous", écris-tu.

            Et : " Qui peut t'expliquer à moi ? "

            Et ; " Si le Halensee n'est plus ce qu'il était l'an dernier, c'est de ta faute. Tu t'es trompé".

            Je vais te répondre à ces trois questions sous la forme d'un livre. Un livre que je n'ai pas écrit, mais qui a été écrit à travers moi. Un livre que je n'ai pas senti, mais qui a été senti à travers moi. Donc un livre auquel j'ai pris une grande part, bien qu'il ait été fait tout à fait en dehors de ma volonté. Tu devines : Paula Ludwig a réuni des poésies qu'elle a écrites depuis le printemps dernier, et dont tu connais déjà une bonne moitié; elles les a publiées, peu avant Noël. A vrai dire, ce ne devrait pas être Yvannot qui t'envoie ce livre, et pourtant, Yvannot peut-il attendre qu'il te soit donné par des tiers ? D'ailleurs, je ne te l'aurais jamais adressé à Paris - mais là-bas, entourée d'amis exceptionnellement sincères, et près d'un homme qui est certainement le plus loyal que tu aies rencontré au début de ta carrière sentimentale, - aujourd'hui je peux te le mettre entre les mains, peut-être, d'un cœur paisible.

            Il y a derrière toi quelqu'un qui saura, lorsque tu détourneras instinctivement la tête, te la remettre doucement dans le bon sens : la tourner vers moi et vers ce livre!

            De ce fait, ta première question recevra une réponse : tu trouveras l'esprit de ton âge, et c'est d'un cœur clarifié que tu tourneras les pages.

            Mais de ces pages monteront pour toi les réponses à ta deuxième question : elles m'expliqueront à toi. Et si tu ne sais pas lire, dans les vers entre les vers, tu auras près de toi celui qui pourra te les interpréter. S'il est loyal, ce Don Kurt Juan, il me comprendra et il m'expliquera à toi. S'il est "loyal". Je ne sais pas s'il l'est. Je ne sais pas non plus si je le serais à sa place.

            Pour t'aider à passer de l'enfance à la maturité spirituelle, il te dira ceci : l'homme qui est chanté dans ce livre, l'homme qui est l'objet de cette incantation, n'a rien fait d'autre pour cela que d'être lui. Il est seulement l'objet de cet amour. Il a un rôle passif. Il a fait don à l'élue de beaucoup de douleur, beaucoup, et rien de plus. Et, sans doute, il était bon, et ne voulait pas donner tant de souffrance - mais il ne pouvait cependant rien donner d'autre, rien de ce qu'on lui demandait, il ne pouvait pas s'extérioriser et se perdre complètement.

            Vois-tu, il en découle tout naturellement aussi la réponse à ta troisième question. La réponse que tu lui fais toi-même est inexacte, car tu rejettes la faute du côté où elle n'est pas. C'est de ma faute si le Halensee n'est plus si beau que la première fois - et pourquoi ?

parce que je ne suis qu'un homme !

            K. W. me prie de lui envoyer mes livres. Je ne lui enverrais ni Mathusalem, ni Mélusine ni Congo-Caoutchouc, mais bien "Die Eurokokke", si je ne trouvais plutôt que le livre de P. L. suffit aujourd'hui pour qu'il apprenne à me connaître plus complètement et mieux qu'ailleurs.

Il devra t'apprendre à le lire, le lire avec toi, et ensuite, te renvoyer à moi, afin que mûrie et plus compréhensive, tu puisse m'aimer et en recevoir du bonheur. (Montre-lui cette lettre).

                        Et tandis qu'Yvannot te sourit,

                                               Ivan t'embrasse

            lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin en  1932*** MST p.76/77

écrite en français        et non datée mais nécessairement du 22 ou 23 ou 24 janvier

            Yvan

Tu m'as promis ton écriture et jusqu'à l'arrivée de cette lettre je ne serai qu'un être qui végète et qui souffre.

Mon Yvan, dès que je me réveille, dès que je pense à toi, mes yeux se remplissent de larmes. Pardonne-moi de ne pas tenir ma promesse, de n'être qu'une faible femme, ta femme, et de mourir après toi comme une pauvre petite chose malade. Ah si seulement tu n'as pas trop de peine, mon chéri, à cause de ces phrases insensées ! Moi, qui voudrais t'inonder de bonheur et te donner de la joie et toujours de la joie !

Pourquoi cette nostalgie qui brûle comme du nitrate d'argent ? Pourtant il y a la mer immense et le soleil ardent. Il y a des chansons, chantées par un jeune guitariste, ami de Kurt, mélodies accompagnées d'une lune raffinée. Mais je n'entends que ta voix, mon Amour.

Je ne vois que toi : dans les jardins chastes, dans la mer toujours en fuite, dans les rayons du soleil qui me corrodent le cœur.

Oui, j'entends ta voix dans le silence et la moindre fleur me rappelle ton extase devant la nature indomptable, nos extases communes devant tout ce qui exalte.

Je te dois tant, Chéri, jamais je ne te remercierai assez. Mais comprends-moi : malgré mes infidélités, je suis à toi comme je n'ai jamais été à personne, mon Petit, mon Grand, ma Vie.

Je baise tes mains aujourd'hui et toujours

                                                           Zouzou

(voir au recto !) Je n'ai plus de papier à écrire

(au dos)          De sepulcro en sepulcro

                        Voy preguntando

                        Cuantos hombres habian muerto amando,

                        Me contestó uno ;

                        Mujeres a millares,

                        Hombres, ninguno

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Cagnes/Mer du 24.1.32  MST p.79/80

Chère Zouzou,

            Ma lettre d'hier  était réellement dogmatique et sentimentale.

            Quand je me transporte dans ton cœur, je suis à même de mesurer ce qu'elle y a déchaîné  - mais la proximité de tes amis, qui sont de bons juges en fait de choses aussi profondes que celles dont il s'agit dans ce livre, me confirmait que la discussion s'élèverait immédiatement au-dessus du plan personnel, et gagnerait le plan des grandes douleurs humaines. Toute la douleur qui est accumulée dans ce livre, doit désarmer quiconque a des soucis plus terrestres. Cette douleur que, moi le premier, je n'ai pas pu combattre.

            Après une première révolte, tu ne sentiras bientôt plus que mon infinie pitié pour cette victime qui a saigné à mort et poussé un cri qui semble être, au dire d'une de ses amies, son testament.

            En ce qui concerne l'épigraphe, c'est seulement un extrait d'un poème dont le manuscrit était chez elle et dont je n'avais plus moi-même le moindre souvenir. Donc, c'est une épigraphe comme beaucoup d'autres - et qui n'a aucune signification de plus pour les tiers, les lecteurs du dehors.

            Aujourd'hui, j'ai de bonnes nouvelles à te donner au sujet de Congo-Caoutchouc.

            La Production Aufricht, qui représente en ce moment "Managony" de Brecht-Weill au Kurfurstendam, s'intéresse à ma pièce et veut la monter après la " Petite Catherine " de Savoie, - également une nouveauté. On prévoit Forster pour le rôle principal. A vrai dire, en ce moment, à Berlin, les choses sont telles qu'on n'est sûr de rien, plus de deux semaines d'avance. C'est pourquoi... attendons !...

S'il se présente quelque chose de mieux, je saisirai l'occasion... si ça doit se faire plus tôt...

            J'ai rencontré Hell Herzog ; comme je laissais entendre que tu étais absente de Paris pour quelques jours, elle joua la surprise : "Maintenant, elle doit être là-bas. J'y vais le 1er février et lui téléphonerai aussitôt" … Ceci, pour que tu sois au courant.

            A part cela, je cours énormément à travers Berlin. Suis peu à Halensee. Je dois faire un nombre inouï de démarches pour l'anniversaire de Joyce. Brody le veut absolument. Il a raison. Mais, depuis décembre, il n'a pas payé.

            Nous avons eu dix journées merveilleuses, très tièdes ensoleillées, tout à fait printanières. Nous avions pitié de toi qui es là-bas sous la pluie. Mais à présent, le ciel se venge … brouillard, froid, gelée accablent Berlin depuis 3 jours.

            Au café, j'ai rencontré les Eisenlohrs. Ils sont allés à Majorque en octobre et novembre, et ils en sont enthousiastes. On va, d'abord, en train à Barcelone, puis on passe toute une nuit en mer et on débarque, le matin, dans une île de légende, où l'on vit dans une nature féerique, plus silencieusement et de façon plus concentrée qu'à Ascona …Je me réjouis beaucoup de t'entraîner jusque là-bas en mars, et de me remettre à la cuisine.

            Ton

                        "Yvannot"

lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin 28 janvier 1932  MST p.80/81/82

Monsieur le Dr Iwan Goll                                         Cagnes / Mer

chez Paula Ludwig,                                     [ jeudi ] 28.1.32

112 Gastenhaus-Atelier

Berlin-Halensee

Yvannot,

            Ta lettre et le livre sont ouverts devant moi. Je ne t'aime pas pour ce que tu dis, mais pour la façon dont tu le dis.

            Personnellement; je ne voudrais pas critiquer ce livre en soi.

C'est la confirmation officielle de votre vie en commun, devant le monde littéraire. Tu loues la force de la douleur de ton amie. Est-ce donc que la douleur imprimée t'émeut plus que la douleur cachée ? Je ne crois pas qu'on puisse souffrir plus que je ne l'ai fait, chaque nuit, depuis des mois et des mois. Laquelle de nous deux est la plus heureuse ? Goethe te répondra à cette question :

            "Il m'a donné un dieu pour que je puisse lui dire ce que je souffre".

Apprendre à te connaître, petit Iv., c'est une chose que je ne peux pas faire non plus grâce à ce livre. Tu m'as priée de le montrer à Kurt, ainsi que ta lettre. Il est seulement mon ami, pourquoi mets-tu en doute sa loyauté ?

            Après avoir lu la lettre, il a dit : "Toi et lui, vous allez bien ensemble. Toi et Illan, vous n'allez pas ensemble ". (Je lui avais montré des lettres)

            Il a dit du livre :

"Ces poésies ne me regardent pas et ne regardent d'ailleurs personne. C'est une affaire privée entre Ivan Goll et Paula Ludwig. Une expérience personnelle, et pas un monde. Quand une de Noailles ou une Lasker écrivent une poésie, cela me regarde. Car là, on ne sent jamais que l'étreinte s'est convertie en encre d'imprimerie.

Que deux personnes couchent ensemble et se fassent souffrir l'une et l'autre, soit : mais, au nom du ciel, qu'elles n'en fassent pas part au monde entier !

Croire qu'on peut apprendre à connaître Goll à travers ces poèmes, quelle erreur enfantine ! D'abord, parce qu'il n'y est nullement, on n'y trouve qu'elle. N'importe quel autre nom d'homme pourrait y figurer. Goll n'a été que le moyen d'atteindre le but ; sinon, quel autre aurait joué ce rôle.

            Jamais on ne peut apprendre à connaître un être humain à travers la littérature.Je te donne, comme exemple, un des plus beaux poèmes d'amour adressés par Goethe à Madame von Stein :

            Pourquoi nous donnes-tu ces regards profonds qui prévoient notre avenir ?

            Puis-je chercher à trouver, dans ces vers Mme von Stein ?

Absolument pas, je ne sens et je ne vois que la grandeur de Goethe."

            Voilà pour Kurt.

            Hellé a dit : " Je trouve épouvantable ce manque de distance entre son propre sentiment et le partenaire sentimental. De telles exagérations d'un être humain, cette façon de le diviniser, cela produit toujours une impression pénible. Ce n'est pas parce qu'on aime quelqu'un qu'il devient, de ce fait, un dieu, ni s'en approche.Chant du Moi, qui ne touche pas les tiers. Art pour l'art, qui aurait dû se réfugier dans une édition privée. Cette sorte de viol de soi-même, je l'appelle : flibusterie. Nous, les jeunes d'aujourd'hui (Hellé a 24 ans), nous n'avons aucun goût pour cette sorte de littérature. "

            Voici donc la critique de deux personnes qui ont, tout au moins, des vues nettes sur l'art. Mais tu t'es livré en pâture au public : reçois donc ton jugement !

            Et maintenant, mon enfant, mon petit garçon, je t'envoie ci-inclus une fleur. Toutes sont déjà là : les iris et les narcisses, dans le jardin, près des roses. Les petits amandiers sont en fleurs, le soleil rit, moi seule ai désappris la joie.

            Mais à toi je souhaite le sourire, le bonheur dans l'amour, une expérience positive. Et aussi que ces poèmes te rendent heureux : les hommes sont si fiers quand ils ont fécondé, inspiré. Et qui possède assez de mesure et de lucidité pour ne pas se prendre finalement pour un roi, pour un dieu, lorsqu'on le hausse jusqu'au ciel en lui donnant ces noms ?

            Moi aussi, je t'ai chanté naguère, mais plus tard, après que nous eussions traversé ensemble des années. A présent, je te tais.

            Je continue à t'attendre avec une infinie tendresse.

                                                                       Ta Zouzou

Encore un P.S. pratique. Envoie un chèque, pour que je puisse payer K. ponctuellement. Tu sais que sa mère était née Marx. Peut-être a-t-il hérité d'elle ce côté mercantile : car, lorsque nous faisons nos comptes, la cupidité de ce bel homme le rend réellement laid.

            Même autrefois, quand il brûlait d'un amour ardent pour moi, ce vice qu'il a, m'obligeait à douter de lui. Un homme avare n'a qu'une passion : l'argent. Avec ça, il disposait à cette époque, des millions de sa première femme (Merck-Chemie-Darmstadt). Quand moi, qui étais alors une enfant innocente, ignorant tout de la littérature, je fis pour lui mes premiers vers, il s'écria : " Tu es stupéfiante, l'égale d'une poétesse nommée Else Lasker-Schuler ! ". Mais jamais il ne pensa à faire publier ces poésies : ça aurait coûté de l'argent ! Et moi, tu me connais. Les calculs, l'exploitation de quelqu'un, tout cela m'est bien étranger.

            Curieux, ces deux types de juifs : les Shylocks, qui s'obstinent sur leurs créances et attisent l'antisémitisme universel, et les juifs messianiques, avec parmi eux le plus messianique de tous : mon Ivan.

lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin dimanche 31 janvier 1932  MST p.83/84

                                                                                  Cagnes   31..1.32

                                                                                  Dimanche

Yvannot,

            nous avons tellement parlé de toi que tu es presque là, parmi nous ; tu devrais pouvoir sentir les mimosas.

            Figure-toi que Madame de Maubeuge possède ici une ravissante maison ancienne (pension). J'y suis allée. La femme de chambre de Cavalaire est encore là et elle m'a reconnue. Mais les choses d'autrefois, qui étaient là tout autour, ne m'ont pas reconnue, parce que j'ai oublié le bonheur et que j'ai trop pleuré.

            Récemment, étant à Cannes, j'ai vu Théoule de loin, et près du port de Cannes, j'ai retrouvé la boutique de fruits où tu m'as acheté une si belle pêche, j'en avais l'eau à la bouche et les larmes aux yeux. Tu es si bon.

            Je travaille trop, au grand regret de Kurt (*). Pendant les heures de soleil, on n'arrive pas à me tirer de ma chambre, ni à m'entraîner à des excursions en auto. Pendant ces promenades, tu me manques toujours et il paraît seulement anormal de devoir jouir à quatre ou à cinq de ces merveilles qu'on devrait voir à deux, - car chez nous, il y a toujours des invités. De toute manière, Kurt est bien un peu surpris d'avoir pour hôtesse une femme si triste. Mais ici, tout rappelle sans cesse Ascona, le Jura d'autrefois. Comment ne serait-on pas infiniment triste ?

            J'ai trouvé une lettre que je t'ai écrite l'an dernier, de Bühlerhöhe, et que je ne t'ai pas envoyée :

            «… Elle est bien portante, elle a son petit garçon, je n'ai que toi.

            Elle trouvera un autre homme, avant qu'il soit passé beaucoup de temps. Moi je ne peux trouver qu'un représentant pour ne pas périr de douleur, jamais je ne retrouverai un autre.

            Il y a trois mois tu n'étais pas encore dans sa vie. Mais tu es ma vie, depuis plus de quinze ans. Comment pourrais-je le supporter ? »

            Peut-être aurait-il mieux valu toujours tout te dire, au lieu de me taire, par une fierté puérile, et d'en mourir, car je crois que ma santé n'aurait pas ainsi périclité, si  YvanClaire n'était devenu Yvan et Claire.

            Au revoir, toi ! Samedi, je rentre à la maison.

            Ta "biche pourchassée et muette" te regarde avec des yeux tristes.

(*) Kurt Wolff  (dirigera Pantheon Books, New York après 1940)

lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin 2 février 1932   MST p.84

                                                                                  Mardi

                                                                                  [Cagnes s. Mer  2..2.32]

Yvannot,

            Ta lettre était très belle. Cela me peine de t'avoir envoyé entre temps une lettre si triste, qui a peut-être assombri tes jours de fête. Ne prends pas cela trop au sérieux ; j'ai passé des années à pleurer toutes les nuits et ensuite je l'ai oublié pendant des années. Cette souffrance-ci, elle aussi, sera submergée par la joie. N'est-ce pas ?

            Oui le séjour ici m'a fait beaucoup de bien. L'opinion mûrit toujours davantage en moi, qu'on devrait mettre fin à ses jours quand on est aussi malade que moi, et que ce monde appartient aux bien portants.

K.W. qui a lu ta lettre et l'a trouvée très émouvante, a demandé un peu ironiquement si ce que tu appelles : " devenir conscient par la misère, les tourments et les luttes " consiste à forniquer et danser aux bals de Presse. Et, comme je pleurais, parce que tu vois notre "union indivisible" dans le fait qu'une Cranach ou une anonyme disent que " nous sommes une idée ", il  se moqua de moi et prétendit que cela n'était pas tellement grave. Car tu es un poète, qui vit des choses imprimées, ce qui ne t'empêche pas d'être un homme tout à fait charmant.

            Pour ta pièce, il y aura sans doute des difficultés, mais pourquoi n'aurais-tu pas autant de chance que d'autres, moins doués que toi ? Si ça ne marche pas à Berlin, ça marchera sûrement à Paris.

            Je t'enverrai le roman, dans 8 jours à peu près de Paris.

            Je pars samedi et serai rentrée dimanche à la maison, si l'on peut s'exprimer ainsi.

            Merci aussi pour les 50 M. d'hier et pour ceux que tu me promets pour aujourd'hui. Rappelle-toi aussi que Rosa et moi, nous avons besoin de vivre. Et maintenant, je vais tout de suite chez un spécialiste de l'intestin, je n'en peux plus. Vomissements et diarrhée tous les 3 jours.

            Au revoir, mon cœur, je t'aime tant.

                                                                       Zouzou

lettre de Claire Cagnes/Mer à Ivan Goll Berlin 4 février 1932   MST p.85/86

                                                                                  4. 2. 32

                                                                                  Cagnes s. Mer 

                                                                                 

Yvannot, 6 heures du matin, le soleil se lève. Je suis devant lui, et en ce moment-même, tu dis peut-être : "Ma douce Paula" ou "Ma délicieuse Emmy", et cela me fait penser " qu'il y a tout de même en nous une loi morale", et que celui qui la foule aux pieds sera puni. La même loi, selon laquelle le ciel rougit.

            Un petit amandier fleurit non loin d'ici. Kurt m'a dit que les tilleuls fleurissent, tout le long des avenues. Je n'en sais rien, car j'ai passé 6 jours au lit, malade, mais ce seul petit amandier remplace tous les autres.    Ah ! les lieder, laisse là les lieder  ! Je sais que tu le fais sans plaisir, et que tu aimes à traîner mes souhaits en longueur, si longtemps qu'à la fin ce ne sont plus des souhaits. Quand l'autre n'est pas désireux de faire plaisir, que reste-t-il du souhait?

            J'enverrai le roman dans 8 jours. Kurt a dit que ce n'est rien pour le magazine " Die Dame ". Le dernier chapitre est presque de lui, je n'en pouvais plus. Tout devient toujours si clair, quand on cause avec lui. Le nouveau roman aussi. On sait immédiatement ce qu'on a à faire, ce qu'on voulait faire de travers.

            Mais hier, lui qui ne prend que trop souvent ton parti, il était terriblement fâché par ta lettre. « Quoi, pas payé, criait-il, une inconvenance envers Rosa, un suicide au "Matin", et toi, te laisser dans l'atmosphère que crée un loyer impayé, inexcusable, tant qu'on possède encore 1 centime en Suisse ! On ne paie pas ses dettes, prétextes d'habitués de café…»

            Tu sais comment les Clauzel regardent quelqu'un, dès qu'il n'a pas réglé sa note de gaz. Mais le loyer, le gaz, l'électricité !

            «  On n'a pas le droit, pourtant, de donner toujours la préséances à ses fautes et à ses plaisirs, et de sourire des travailleurs dans les "Romanische Cafés" (cette phrase n'est pas de moi), mais lorsqu'un homme commence à nager dans ses eaux-là …»

            Demain, je rentre à la maison. Schneider veut immédiatement une chronique des modes d'été, le "Berliner Tageblatt" doit aussi être renseigné là-dessus ; il faut que je parle aux Herzog …D'abord, le devoir, qui est de satisfaire à mes engagements ! Certes ce serait plus beau de rester ici.

            Ma santé n'a supporté que 3 excursions, c'est peu en 3 semaines. Et je ne suis sortie que 4 fois 1 heure, au soleil de midi, c'est tout. Mais un jour viendra peut-être ou plus de soleil brillera sur ma vie. C'est toi qui travailleras, et moi je me reposerai.

            Landau, cet animal, a dit à Illan, il y a 3 semaines, qu'il partait pour Nice et me paierait directement. Mais il n'a donné aucun signe de vie. Après-demain, je l'appellerai au téléphone dans son cantonnement : le Claridge.

            Je serai très seule à Paris, car je n'ai plus répondu à Illan malgré des lettres embrasées et pleines de reproches.

            Laisse donc Beye et Monsorten. Tout cela est de la saleté : basse, impure, allemande.

            A la protection de qui puis-je à présent recourir ? Si seulement on pouvait croire à quelque chose ! Une ardeur pour un avenir intérieur, non pas un avenir de théâtre ou de roman

Un succès intérieur, non extérieur.

            Mais je le souhaite à toi aussi, naturellement.

                                                           Ta malheureuse Zouzou

Kurt est d'avis que je devrais aller trouver ta mère à cause du loyer.

Si tu n'as pas payé dans 6 jours, je le ferai.

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 6 février 1932   MST p.86/87

                                                                                  Paris, samedi

Aimé, je suis revenue rue Raffet. Je suis partie dès avant-hier, à cause de la Mode. Avant, j'ai encore causé longuement avec Kurt (*), son avis est que tu ne peux absolument pas rester à Berlin. Tu n'as jamais été reconnu en tant que dramaturge, en Allemagne, et l'on peut donc attendre bien longtemps un résultat positif....Nous avons parlé en outre (avec Hellé) du fait que "ton cas" est celui de beaucoup d'hommes de quarante ans. Epoque de crise. Pour parer au vieillissement et à l'ambition insatisfaite, au moyen d'un excès de sensualité. L'un cède à son avidité de jouissance, chez l'autre elle est freinée par la tendance morale. Le père d'Hellé, qui avait été un homme délicieux, succomba aussi de cette manière. Ne te crois pas un cas unique...

La plupart voudraient faire comme toi, mais nous n'avons pas le droit d'obéir à notre luxure.

            Comme me le disait Mme Herzog, tu passes pour être le "mari" de Mme Ludwig et d'autres femmes. Ce bruit circule. Au Bal de la Presse, tu présentas une très jolie femme, etc. On peut faire tout cela, mais est-ce permis ?…Je voudrais à présent aller chez ta mère et lui raconter tout depuis le début. Peut-être nous fera-t-elle une rente mensuelle et te rendra-t-elle ainsi possible cette griserie, qui ne rapporte, en vérité, pas un centime, comme tu l'écris, mais qui te procure une ambiance nécessaire, - paraît-il -, - à un "poète". La luxure, dit Kurt, devrait cesser à notre âge; il est trop commode de réclamer les joies de cette sorte au nom de mille faux-fuyants. Werfel lui aussi est un grand poète, et il vit dans la plus grande et la plus concentrée des solitudes.

            Ta mère me comprendra.

Entre temps, le loyer a été payé avant-hier, mais les Clauzel m'ont déclaré, à plusieurs reprises, qu'ils ont déjà réglé 2 mois de Gaz. Ils n'ont pas payé l'électricité, et la Compagnie m'a écrit très aimablement qu'elle va me couper le courant.... De plus, la note du pain est devant moi, ainsi qu'une demande pressante de la Bizot, de lui payer les 400 Fr que je lui dois ; le pharmacien, lui aussi, a choisi le moment le plus propice pour me déclarer que mon compte se monte à 700 Fr.

            Or, je ne suis certes pas trop aristocratique pour travailler, mais tu comprends qu'à la fin, j'en ai assez, et que mon épuisement physique est si grand qu'il a porté un coup à mon énergie de travail. Et d'ailleurs, pour les 30 M. que je recevrais au B.T. ! J'en ai assez, assez, assez !

                                   Claire

* Kurt Wolf

Le Journal des Poètes 2ème année, n° 11 - 6 février 1932

Deux poèmes de Paula Ludwig - traduction de l'allemand d'Yvan Goll - Bruxelles.

Extrait de la traduction d'une lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire Paris du 7.2.32 (SDdV 65/145) lettre que je n'ai pas trouvée dans  MST mais dans :

Iwan Goll Claire Goll Briefe, Florian Kupferberg Verlag Mainz / Berlin (262 p.) 1966, pages 86 et 87, mais, avec cette référence :

Sur un papier laissé sur sa table de travail, en 1932, Goll écrit au sujet de cette crise :

« Le Démon, voilà son nom. Voilà le nom de l'être que tu n'as pas nommé et que tu voulais que j'admete.…Eh bien, je l'admets, comme toi. Ne l'appelons pas " le destin ", et surtout ne le repoussons pas sur d'autres personnes. Le démon est en moi, je le montre du doigt. Je ne suis pas lâche comme tu le pensais. Il est la troisième personne de ton rêve étrange et lumineux, nous sommes toujours trois : toi, moi et le frère noir …l'amer profil que je suis forcé de porter pendant le jour, la voix voilée qui pend comme un rideau devant mon âme farouche.

            Mais il dépend de toi, Souverain du Songe, que ce soit moi ou lui que tu appelles.

            Il est vrai, les deux craignent la vie, le présent. La danseuse : parce que la confusion est une telle torture.

            Le frère, parce qu'il traîne toujours avec lui le sac rempli de chagrin, le corps plein d'inquiétude millénaire, plein de départs et d'arrivées millénaires.

            Souviens-toi de ma peine dans la longue nuit, quand je ma suis sauvé dans la chambre glaciale, te quittant vers trois heures de la nuit bienheureuse. Souviens-toi comme mes pieds se démenaient, ces pieds du Juif Eternel, qui ne peuvent oublier l'errance sans fin !

            Souviens-toi de l'agitation dans mes yeux, entre deux patries, éternellement l'homme sans terre, l'hybride entre femelle et mâle, entre la foi et la pourriture, entre le désir et l'ennui.

                                                                                              Ivan »

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 10 février 1932   MST p.87/88

                                                                                  Paris 10.2.32

            Non, toi, tu ne dois avoir honte de rien.  Tu as été bon pendant des années, tu peux continuer à vivre sur ce fonds. Tu as encore un grand crédit dans mon cœur. Et peut-être gagnerai-je bientôt assez pour nous deux. Ne te tourmente pas à ce sujet, toi, mais ne dis pas : " L'époque est pourrie, je veux m'adapter à elle". Nous avons en nous une loi morale, nous le sentons bien, cela est au-dessus de toutes les époques, et tu ne dois pas agir contre cette loi, parce que quelques littérateurs et quelques idiots méconnaissent que tu es un poète.

Chéri, laisse ce cynisme bon marché à d'autres, plus petits que toi par ex. à Steinthal. Mais toi, lutte, lutte, monte, et ne sombre pas, ne te contrains pas à être plus mauvais que tu n'es. Et pourquoi ne te fais-tu pas plus rare ? Ne crois-tu pas que, sous tous les rapports, tu aurais plus de succès qu'en étant là sans cesse ? Comme ça c'est passé avec Beye et Cie. Ne vas donc plus dans cette cave des sous, où ils n'ont pas d'affection pour toi. Ne t'occupe pas de ces sous perdus et sales, mais des pièces d'or.

            J'ai envoyé aujourd'hui à Madame Landau, qui est encore à Beaulieu, une lettre diplomatique, recommandée. Ce faisant, le sentiment que j'ai pour toi me pénétrait malgré tout et j'ai écrit :

            "Trude (*), Beye, M. Schönherr ont dit à Ivan qu'ils ont réglé tout le monde en janvier, sauf lui, parce qu'ils ne peuvent pas le souffrir. Les larmes me sont montées aux yeux. On voudrait bien, parfois, se suicider.

            "Le pauvre malheureux garçon ! Parce qu'il a lutté désespérément pour gagner un peu d'argent à sa femme malade, ils ne l'aiment pas. Si seulement ils le connaissaient, s'ils savaient combien il est triste et fier, et combien il est bon, lorsqu'il s'agit de plus pauvre que lui ! En tout cas, je vous prie de ne pas me faire porter le poids de cette antipathie, etc.…"

S'il devient insolent, je pourrai toujours encore le menacer de Me Saviac. En fin de compte, il faudra bien qu'il paie, fût-ce plus tard, puisque nous n'avons jamais d'argent, et pouvons en avoir besoin à tout instant.

            Bonne nuit, toi, je suis fiévreuse et lasse. Encore une journée de crampes intestinales terribles et du travail le plus éreintant ; la voici terminée, encore une fois. J'ai travaillé sans arrêt de 7 heures du matin à 11 heures du soir. Demain je t'enverrai le roman.

            Et sois réellement fier de la façon dont je t'aime et t'aimerai un jour à nouveau

                                                                                                                      Zouzou

(je n'irai chez le médecin que lorsque tu seras revenu). »

(*) Trude Esterberger

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 12 février 1932   MST p.89/90/91

                                                                                              Vendredi

                                                                                              [Paris 12.2.32]

            Yvan

Je t'écris encore une fois aujourd'hui et ensuite je cesserai de le faire pour longtemps. T'émouvoir par des lettres, non !

            Finalement, certaines « autres personnes », s’y connaissent un peu en poésie, et elles ont trouvé comme moi que les deux poèmes traduits sont insuffisants. Le jugement de l'Amérique en de qui concerne Joyce n’est pas valable. C'est le pays de beaucoup de poètes mais pas des poètes. Il est déjà,assez significatif que les Etats Unis avec leurs millions d'hommes aient produit au cours de ces trois siècles si peu de génies en poésie :Whitman, Poe, Hart Crane et peut-être Ezra Pound, qui nous est d'ailleurs apparu, quand nous l'avons connu, humainement comme quelqu'un de bien médiocre. Et s’il est vrai que le don littéraire et la moralité ne se contrebalancent pas toujours, on devrait pourtant dans un grand artiste pouvoir deviner une certaine grandeur d'âme.

Et l'Angleterre aujourd'hui ? Où sont ses poètes importants ? Combien sont-ils ? William Butler Yeats, le jeune Dylan Thomas, dont t'a parlé Eliot. Eliot est d’ailleurs américain, et comme il me l'avouait lui-même, influencé par Rilke. (et d’abord par les Français, en commençant par Laforgue …) A l'époque où j’ai rendu visite à  Eliot à Londres, il n'était pas du tout encore Eliot.

Non, ton enrégimentation de Joyce parmi les grands écrivains de langue anglaise m'apparaît très  contestable. Et le culte de Joyce pour  James Stephens me semble puéril. Tout ce qui vient de Dublin est pour lui sublime. C'est seulement parce que le rôle le plus brillant de son ami Sullivan est Guillaume Tell qu’il considère que cet opéra est un chef-d'œuvre et qu'il nous en chante des airs chaque fois que nous sommes chez lui avec enthousiasme (et pour mon supplice). Mais  la note qu'il a dictée  pour  mettre au bas du poème de Stephens est carrément naïve. Joyce est un génie en prose mais pas en poésie.

Bref : "Donnez-nous la liberté  de pensée - (et de jugement), Sire ! " Permets-moi, s'il te plaît de ne pas partager ton opinion.

            Pourquoi ne pourrais-tu pas toi aussi te tromper ? Rappelle-toi la critique que tu fis de la prose de Illan. Et il a reçu, il y a quelques semaines, une lettre enthousiaste longue de quatre pages de Max Jacob, où celui-ci " lui baise la main, cette main infiniment bienveillante qui a écrit de telles choses " !

Et on ne peut pas dire que c'est un jugement de complaisance d'un homosexuel à un autre, car Illan est, Dieu le sait, un coureur de jupons.

            Rappelle-toi aussi ce que tu m'as toujours dit de mon roman Une Perle :"trop réaliste". Comme tu m'as découragée !

Dès la parution, rien que des articles élogieux de la presse française et de la presse des États-Unis pour l'édition américaine ! Signés Thomas Mann, Stéphan Zweig etc.. Et cette phrase qui revenait souvent dans les comptes rendus : "Un Emile Zola d'aujourd'hui", - ce qui n'est, après tout, pas à un blâme. Il y a un réalisme qui n'est pas forcément anti artistique.

D'ailleurs, tu sais très bien que j'ai lu un unique livre de Zola et que je l'estime, mais ne l'aimait pas, car ma passion, de Paris à saisir année, va à Dostoïevski. C'est aussi pourquoi nous nous sommes tellement disputés à Chambon/lignions, nous essayons de décrire ensemble un roman. Nos idées ne sont pas les mêmes.

Tu seras d'autant plus approuvé et confirmé dans ton culte de Joyce, par une autre artiste.

Mais à présent, tu me l’as écrit assez clairement : il n’y a , en ce monde, qu’un style, qu’une bonté, qu’une artiste !

                                   Adieu !

                                                           Claire *

* Voici les deux poèmes en question.

Voici l'enfant -Du sombre passé -

Un enfant est né - De joie, de peine -

Un Coeur s'égrène - Au calme berceau -

La vie éclot. - Que l'amour pieux -

Décèle ses yeux. - Haleine qui passe -

Vite sur glace - Monde à peine là -

Qui déjà s'en va. - Un enfant dort -

Un vieillard est mort.

                James Joyce (traduit par Yvan Goll)

Le vent hurle à haute voix

Et silfle furieux sur ses doigts.

Soulève les feuilles trépassées

Se bat avec la forêt déchaînée.

À mort ! Hurle-t-il. Une mort folle

Dieu est de nous. Un homme une parole.

                James Stephens (traduit par James Joyce et Yvan Goll)

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 12 février 1932**** MST p.91 à /94

                                                                                              Paris, 12,2,32

                                                                                              vendredi soir

            Aimé, oui tu l'as senti et, le soir, ton télégramme devait réparer l'effet de cette lettre sans cœur, mais alors, il était déjà trop tard. Songe à ce que toute une journée de détresse peut déchaîner et détruire chez un être humain. Mais je préfère me taire là-dessus, il ne faut plus déclencher des émotions. Soyons donc positifs.

            Tu m'as écrit que mes lettres, finalement, te déçoivent toujours. Ah ! si je voulais te dire quelles grandes déceptions les tiennes n'ont été que trop souvent pour moi, et comment, bien des fois, elles tombaient aux moments où j'étais le plus disposée à l'amour et aux sacrifices. Tu as écrit plus loin : Paula a crié : Je te louerai un Théâtre, je ferai représenter ta pièce ! - Tu oublies que, pendant les premières années de notre inclination mutuelle, j'ai crié des choses semblables. Et moi aussi, l'an dernier, j'ai dit des choses de ce genre à Illan. Amoureuse depuis un an, songe donc ! Je souhaite que Paula te le dise encore après 16 ans.

            Ce matin, je t'ai dit que je ne t'écrirais plus, et ton télégramme ne peut rien changer à cela. Je dois seulement t'envoyer encore ce post-scriptum, tu verras tout de suite pourquoi.

            Je n'écrirai plus, car je ne veux plus rien savoir de toi et je veux que tu ne saches plus rien de moi. Je ne demanderai plus rien non plus. Ni ton retour, ni ton aide financière.

Le "Matin" sera aussi mon dernier souci. Je m'en tirerai bien, aussi bien que d'autres, et si, un jour, les choses vont bien pour moi, alors je partagerai certainement avec toi, je n'ai pas besoin de te le dire d'abord, mais je le ferai.

            Aime et vis, libre et indépendant.

            Je ne sais pas où je serai, quand tu reviendras. Quelque part dans le monde. Peut-être irai-je à Berlin, dès que tu n'y seras plus.....

            Je ne te le dis pas pour te rendre des comptes, mais pour que tu ne crois pas que c'est une revanche. A quoi bon ? je n'ai rien à te pardonner, ce que tu m'as fait n'existe plus.

            Pourquoi t'écrire encore cette lettre ? parce que j'ai envoyé, ce matin à Daniel (Kahn, Professeur d'allemand et beau-père d'Yvan), les 30 premières pages de la traduction de Germaine (Berton) et que je leur ai fait savoir que j'étais revenue de Berlin à cause de la collection de printemps....

            Adieu, sois heureux, laisse-toi aimer. Je ne peux rien t'écrire de plus tendre en guise d'adieu. Sinon, tu pourrais croire, encore une fois, que je cherche à t'émouvoir.

                                                                                                                      Claire »

Et à présent, je voudrais te prier, chéri, de ne pas perdre courage, si tout le monde ne s'arrache pas tout de suite ton manuscrit. Je pense qu'il devient difficile de vivre de son art, et que ce le sera toujours davantage. Mais une autre fois, quand tu seras "d'humeur massacrante", ne m'écris pas. Pas de lettre, cela vaut mieux qu'une lettre pareille. Et d'ailleurs mon "insouciance"! As-tu pensé à mes petites demandes :

            1) « De mes grandes douleurs je fais de petites chansons »

                « Un jeune homme aime une jeune fille …»

                «  L'Ode saphique » de Brahms

                Pour:

Mezzo-soprano, pour une voix que tu aimeras peut-être entendre à nouveau, dans un an ou dans trois ans.

            2) Christa Winsloe

            3) Droits d'émission et date de

                A la recherche de la voix perdue.

Donc, j'ai parlé à Joyce, tout à l'heure au téléphone. Voici textuellement ce qu'il m'a dit :

" Madame, j'aurais été très heureux de vous serres la main, puisque nous sommes voisins, mais je ne puis pour le moment, voir aucune personne, je suis dans un état épouvantable."

Moi : " Je sais, Maître,  Monsieur votre père…Etait-il donc si âgé ?"

Lui : " Non, cela n'est pas la cause de mon tourment. Il est mort de vieillesse. 80 ans, c'est un âge normal. Mais je l'aimais beaucoup et je n'ai même pas pu aller le voir pendant ses derniers jours. Ma femme et mes enfants ne l'ont pas voulu et moi-même, je ne me sens pas en sécurité là-bas. Car ces gens ont brûlé toute l'édition de Dédalos en 1912, lors de mon dernier séjour. Vous comprenez pourquoi je n'ai pas pu aller là-bas."

(à vrai dire, je n'ai pas compris s'il avait eu à craindre le bûcher pour lui-même : ou seulement pour ses recueils de poèmes !)

Moi : " Oh ! naturellement, je vous comprends. Depuis combien de temps n'aviez-vous pas revu votre père ?"

Lui : " Depuis 20 ans ! Vous comprenez mon désespoir."

Moi : " Et vous ne vous écriviez-pas ? "

Lui : " Naturellement si, et je lui envoyais aussi des cadeaux ".

Moi : " Mais, cher Monsieur Joyce, ce n'est donc pas de votre faute si vous ne pouviez plus vous voir, la faute en est aux circonstances …"

Lui : " S …"

Moi : " Allo ! "

Lui : " Oui, j'entends. De toutes manières ne m'en veuillez donc pas, si je ne puis vous voir en ce moment ".

Moi : " Mais je suis chargée de vous demander quelle est votre position au sujet de votre 50 e anniversaire".

Lui : " Ces choses n'ont pour l'instant, pas le moindre intérêt à mes yeux. Excusez-moi donc auprès d'Yvan Goll. Je vous recevrai avec joie dans quelques semaines."

Moi : " Au revoir, cher Monsieur Joyce, et croyez à toute notre compassion."

Lui : " Merci de tout cœur, mes souvenirs à Goll, au revoir."

            Au revoir, - je te souhaite beaucoup de bonheur et d'amour à Berlin.

                                                                                                                      Zouzou »

Enveloppe sans lettre, écrite de la main de Claire :

Herrn Dr. Iwan Goll

bei / Ludwig

112, Gh. Atelier, Kurfürstendamm

Berlin-Halensee

Cachet de la Poste : Paris XVI, Rue Singer, 13. II.32

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du 17.2.1932  MST p.94/95

Chère Claire,

            (Zouzou est réellement devenu trop petit pour toi !)

            Ce soir, j'ai lu Arsenic (version allemande de Un crime en Province) jusqu'au bout. Un grand, un très grand livre !

            Tant de matériau humain, extrait des profondeurs de la chair et amené au soleil, tant de savoir universel, de connaissance de l'âme, de force expressive, d'acuité visuelle et de finesse d'ouïe…

            Se transporter ainsi dans un autre être, haïr, assassiner, souffrir avec lui, l'éclairer du dedans et du dehors, disséquer, éplucher…le retourner en tout sens à la flamme de l'art, comme un poulet à la broche…

            Et puis, la vie de la petite ville : magistrale. Au début, on a des doutes : c'est tout de suite si fort. On se demande : comment soutiendra-t-elle ce ton, sans se répéter, sans ennuyer ?

            Tu as résolu entièrement le problème. Une des tâches les plus difficiles que puisse se proposer un artiste. Une tâche que peut seul aborder celui qui sait ce que sont les nuits inquiétantes, les tentations de l'instinct, le besoin de sacrifice, le sens de la mort …

            Inutile, n'est-ce-pas, de dénombrer les passages qui sont d'une grandeur classique : la nuit du premier empoisonnement, la mort de Gaby, cruellement exacte…et combien de petites phrases pleines de savoir !

            Mais à la fin, cette sonorité apaisante (inconnue de moi), cet écho final proche du ciel !

            Tout à fait grand !

            On ne peut que t'admirer !

            T'admirer, créature insondable !

            Mais, o toi qui n'es pas heureuse, qu'arriverait-il si tu descendais, une fois, aussi profondément en toi que dans les tréfonds de ta Suzannne, si tu projetais ta lumière jusqu'entre tes côtes, qui sont souvent les barreaux de prison empêchant d'accéder à la sagesse et à la liberté. Toi qui a sauvé la plus misérable de toutes, pourquoi ne te sauves-tu pas par la connaissance ? Tuer ne sert à rien, ni mourir : mais savoir !

            A la dernière page, on se met à aimer Suzanne !

                                                                                  Ivan

            P.S. Je porte demain le manuscrit à KROLL / mais ULLSTEIN le trouvera trop lourd de contenu, bien trop bon.

            Ensuite HILDEBRANDT. Mais combien de copies as-tu ? Tu n'as pas besoin là-bas d'en garder plus de 1 ou 2 en allemand ! Envoie-moi encore un exemplaire, afin que je frappe tout de suite à la porte d'un éditeur, pour que nous ayons "deux fers dans le feu".

            Plus tard, je n'ai trouvé presque plus rien qui nécessite des améliorations

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 20 février 1932   MST p.95/96/97

                                                                                              samedi

                                                                                              6 heures du soir

                                                                                              [Paris, 20.2.32]

            Aimé, je reviens à l'instant d'une merveilleuse excursion d'une journée dans la vallée de Chevreuse et je trouve tes Lieder. Ah, toi !

Dois-je les chanter à l'Amiral que j'ai ramené ici ? Il est perché sur le Pascin  et il est encore tout tremblant de son destin tragique : être un papillon en février ! J'ai aussi cueilli les premiers chatons de saule. Et il y avait sur les bois de bouleaux un reflet mauve, à faire perdre la raison. Et, vers le soir, il y a eu la lune, la pleine lune. Et toutes les villas et les maisons qui bordaient la route, je rêvais que j'étais dedans, environnée d'enfants. C'était un home et un refuge, on appartenait à un lopin de terre, on n'était plus nomade, on n'était plus ballottée par le monde, empoisonnée par la solitude. Quel lourd fardeau que d'être artiste ! Walter me disait récemment: "Tu as un destin d'homme", - c'est une triste vérité.

            Et là-bas, dans les forêts, vivent les petits lièvres, et on les chasse, c'est le destin des lièvres. Dieu est insaisissable dans cet univers ; et cependant, je le pressentais et le saisissais aujourd'hui dans chaque jeune mauvaise herbe fleurissant le long de la route.

            Hier; charmante réception chez Lise (*). Tu te rappelles cette belle femme aux cheveux noirs (une raie au milieu, un front florentin) qui nous a frappés naguère dans les "générales" des théâtres parisiens ? C'est elle. Elle a divorcé de son premier mari et épousé un bel homme, très fin, dont elle a maintenant un petit garçon (avec une petite fille du premier), et une maison! Ah ! tu le verras bien, il y a chez eux tous les mois, une réunion poétique, 30 poètes étaient là, Flouquet, Ribemont-Dessaignes, des jeunes comme Colombat, Desnos et Youki, etc..

            A toi, j'adresse en outre, 2 volumes de Lieder en retour : j'ai déjà Schumann et Schubert est pour soprano, alors que je suis mezzo-soprano. Echange-les contre Hugo Wolf et les Lieder de Brahms.

            Parmi ceux-ci, je voudrais surtout :

            "Aussi vrai que le soleil brille, aussi vrai que la nuée pleure". Je crois que c'est de lui. Ou bien, me trompes-je comme "De mes grandes douleurs je fais de petites chansons", que tu as si gentiment cherché et retrouvé parmi les Lieder de Franz.

            Je suis de retour depuis 15 jours et je n'ai pas encore vu Illan, ne lui ai pas fait savoir que je suis ici.

             Il y a en ce moment, bien des choses à voir, et je sors donc beaucoup, pour parfaire ma culture. Surtout pour affiner, en compagnie de Français, ce mauvais style que tu me reproches tant. "O chaînes de roses" (°)…! Et : le style c'est l'homme, ce n'est pas la femme. C'est la qu'est mon excuse. Excuse-moi, oui, je suis heureuse, moi aussi, pour une fois. J'ai reçu un nombre effrayant de piqûres de  strychnine, et, à en croire le prospectus, elles provoquent la gaieté et un état d'ivresse. Foin de la mélancolie et des larmes, qui émeuvent !

            Ci-joint la facture du Matin ; malheureusement, j'ai dû tout payer, il n'y avait plus rien à faire. Egalement pour le Gaz pour décembre : 234 frs., excuse-moi encore, mais la vie est faite de choses de ce genre.

            A l'instant Mlle Stil a téléphoné, aspirant à toi. Je l'ai consolée aussi bien que je l'ai pu, je lui dit que d'autres dames t'ont également appelé au téléphone, et que tu es chez Paula Ludwig.

            " Oui, elle le savait, mais combien de temps encore ? "

            J'ai dit que seuls le savent les dieux de l'amour.

            Ta lettre et ton télégramme, qui exprimaient ton bouleversement à la lecture de mon roman, m'ont profondément émue. Tant de sympathie artistique, c'est toujours stimulant.

            Néanmoins, je t'envoie ci-joint la critique, elle servira peut-être pour le placer. Voudrais-tu corriger un second manuscrit pour Tal, en le comparant avec le premier ou dois-je l'envoyer à Tal comme il est ?

            As-tu des perspectives chez Deutsch ?

            Le petit Walter (**) a reçu hier comme dessert : "Der Dunkle Gott". Le livre a remplacé une piqûre de strychnine. " Ce jour-là, ils ne me racontèrent pas davantage", comme il est dit dans les Mille et Une nuits.

                        Et maintenant :

                                               Vis heureux, vis content,

                                               Comme le roi Salomon

                                               Qui chantait assis sur son trône

                                               Tout en mangeant du foie gras.

                        Excuse-moi, mais je ne suis pas une poétesse, mais seulement

            la naguère pauvre

                                          Zouzou

                aujourd'hui riche

            Avant-hier et le jour précédent, une dame a téléphoné, qui a demandé sans arrêt à Rosa: "Alors il est en voyage, mais pas avec sa femme …pourriez-vous me donner son adresse ?" Rosa ne l'a pas donnée, elle a déjà beaucoup appris, et elle a dit : " Qui sait, peut-être a-t-elle besoin du soutien de Monsieur ". J'ai beaucoup ri.

(*) Lise Deharme avait un célèbre salon littéraire d'avant-garde à Paris

(°) Allusion à une lettre inédite d'Yvan à Claire du 12.2.1917 qui contenait la phrase :

"Chacun garde sa liberté jusqu'à ce qu'il se soit forgé lui-même ses chaînes : Chaînes de roses", phrase dont je me moquais tout le temps.

(**) Walter Mehring, écrivain de gauche, correspondant  du Berliner Zeitungen à Paris de 1921à 1928, à Berlin jusqu'en 1933, puis à Vienne. Interné en France en 1939 avant de partir en 1940 pour la Martinique et les USA. Rentre en Europe en 1945.

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 22 février 1932   MST p.97/98

                                                                                                          Paris, 20.2.32

            J'ai eu tout à l'heure avec Tagger (*) une longue et amicale conversation.

            Tu sais qu'il n'a aucune raison d'être mesquin ou réservé, lui qui est le dramaturge allemand ayant le plus de succès.

            Donc, avant tout, il trouve que cette pièce vient beaucoup trop tard. Les pièces sur le monde des affaires ne sont plus demandées. Il trouve aussi que ce n'est pas dans ta ligne. Ta direction, c'est celle de "Mathusalem". Dès que tu t'en écartes, les pièces deviennent mauvaises. Il te conseille d'écrire une pièce qui soit pleine d'âme, artistique ou vibrante de satire, mais non pas torturée et "voulue". Il dit "qu'il est tout à fait inutile de tenter encore quoi que ce soit à Berlin, pour cette pièce, tu n'arriveras pas à la placer".

            Voilà donc l'avis d'un homme de métier. Je n'ai rien à y ajouter. Tagger dit qu'il avait lui aussi, écrit diverses pièces qui n'ont jamais été jouées.

            Hasenclaver, lui aussi, revient à l'art, après tant d'erreurs et de fours. Il compose une nouvelle pièce, en vers

            Il faut donc être modeste, et non trop orgueilleux. L'œuvre dont on doute est toujours plus grande que celle dont l'auteur crie : "On va me l'arracher des mains !". Je doute tellement de mon "Arsenic" que j'ai déjà voulu attenter à ma vie.

            Sois fort et comprends ! Tu as observé maintenant tant de matériel vivant, en Allemagne ; pourquoi ne pourrais-tu pas faire une pièce enflammée sur l'hystérie des Berlinois ?

            "Krankheit der Jugend" est un grand succès à l'Oeuvre

Un jour, tu auras, toi aussi, des succès de ce genre, mais seulement quand tu te feras petit devant l'art théâtral, comme tu l'es, depuis longtemps, devant la poésie.

            Quand on est quelqu'un, les gens vous courent après (Pirandello) et on n'a pas besoin de faire un pas ; tous tes reproches sur ce sujet étaient injustes.

            Je t'envoie par le même courrier le second manuscrit "Arsenic".

J'ai obtenu et signé, aujourd'hui même, un excellent contrat d'un éditeur polonais pour "Ein Mensch ertrinkt". C'est chez lui qu'ont paru Morand, Maurois, Benoit, etc.

(*) Théodore Tagger véritable nom du dramaturge Ferdinand Bruckner, dont la pièce "Krankheit der Jugend" (1929) se joua avec un grand succès à l'œuvre.

            

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 25 février 1932   MST p.99/100/101

                                                                                  Paris, 25.2.32

            Mon petit garçon,

                        "Découragé" ? pourquoi ? toute déception sert à quelque chose. Celle-ci n'échappe pas à la règle. La prochaine fois, quand tu n'attendras rien d'une œuvre, quand tu seras tout humble devant elle et ne la tiendras pour rien d'autre qu'un début, alors, le succès te surprendra. En admettant que l'approbation de nos misérables contemporains mérite qu'on lui sacrifie le peu de paix intérieure dont on jouit chez soi, entre ses quatre murs, cette paix qu'on abandonne pour une chose aussi inexistante que la prétendue gloire.

           Mais, sot enfant, à quoi bon te faire des soucis ? C'est moi qui paie le loyer avec mon roman. Bien que je ne mette jamais, comme tu le fais dans ta lettre, à jongler avec des chiffres tels que 5000 ou 10000 marks. Pourquoi toujours exagérer ? Naturellement, lorsque l'on est sur une telle corde d'or et qu'on en tombe, le choc est rude.

            Et véritablement, je ne veux pas rompre mon contrat avec Tal.* Je suis pour la fidélité à la parole donnée et je n'aime pas faire de dettes. Tu me connais. Je me refuse donc, sous ce rapport à recevoir des leçons des Allemands. Et d'ailleurs, ne vivent-ils pas, en réalité, dans des conditions impossibles ? Je les supporte mal. Et il est encore plus facile de vivre avec le plus petit Français sain et honnête, qu'avec les Allemands les plus raffinés. Je l'ai constaté avec Kurt Wolff. Ici, nul ne s'immisce par force dans ton ordonnance intérieure, nul ne te divise, tu restes toujours solitaire et libre. Quel équilibre on gagne au contact des Français, et comme on perd pied aussitôt, ne fût-ce que pendant une conversation, avec les Allemands ! Comme ils sont indiscrets, même dans leur discrétion, et éhontés, sans pudeur d'âme ! Non, je n'aime que Paris, et cependant, je voudrais aller un jour à Berlin, pour plusieurs raisons.

Maintenant, en ce qui concerne les gains d'argent, les possibilités, tous mes amis et toutes mes relations me disent que c'est à Paris seulement que l'on peut encore se faire une place. Tant dans l'édition (tu l'as bien constaté, toi-même l'an dernier avec ton livre sur la photographie) que dans les journaux (où tu as joliment lâché Fels !). Paris-Soir s'est monté et tue momentanément l'Intran, et a un tirage de 250.000; que n'aurait-on pu y faire ! Des rapports illustrés d'Allemagne, ou bien ici, la chronique des livres, etc..

            Desnos, lui aussi est un poète, ce qui ne l'empêche pas de faire toutes sortes de besognes à côté.

            En ce qui concerne Maria Deutsch-Piscator, je pense qu'une visite adroite de ta part aurait beaucoup plus de succès que des approches féminines.

            Non, tu te trompes, je n'attends pas impatiemment ton retour, cette époque est révolue depuis longtemps. Je vis actuellement avec Rosa, qui me soigne avec amour, m'envoie prendre l'air, ferme la fenêtre quand elle trouve qu'il fait trop frais, etc.. Dans une tranquillité conventuelle. Je ne souhaite rien d'autre. Tu te trompes aussi lorsque tu crois que je ressens plus douloureusement ma solitude, parce que j'ai terminé ma tâche qui me remplissait toute. Comme tu aurais pu le deviner, j'ai déjà commencé un nouveau roman, - j'en suis tout au moins à sa préparation.

            Je lis de bon livres (anciens), beaucoup de Goethe ; j'ai près de moi une jacinthe, en faut-il plus pour se sentir infiniment riche ?

            Aujourd'hui, j'ai acheté pour ton vase vert de la salle-à-manger, afin d'y remplacer la bruyère, un bouquet de roses en cire, de toutes les couleurs, qui aurait inspiré Rousseau.

            A présent, je vais le regarder à tout instant et je me réjouis de sa suavité : un bouquet de noces. Car, tu le sais bien, les choses simples, primitives, déclenchent en moi les joies esthétiques les plus fortes. Je peux m'occuper toute la journée de ce bouquet, alors que je ne supporte pas les êtres humains plus d'une heure. Mais aussi, quelle différence entre l'être humain et la fleur, fut-elle artificielle !

            A l'instant, je viens de préparer ton paquet : "Die Alpenpassion der Jungfrau von Paris".

            Demain matin à huit heures, je le porterai moi-même à la poste, car, tu ne le sais pas encore, à huit heures juste je prends l'autobus, boulevard Suchet, jusqu'à la place Victor Hugo, et de là, je vais à pied jusqu'à l'avenue du Bois de Boulogne. Là, on me nourrit artificiellement, parce que mes organes ne veulent plus travailler eux-mêmes : ils sont morts. Il y a quelques jours, j'allais si mal que j'ai donné à Rosa - inondée de larmes -, - un télégramme à ton adresse pour le cas où il m'arriverait quelque chose.

            Ainsi donc, je reçois chez Meunier 1 litre de lait, 2 œufs, 1 beafsteack et j'ai engraissé déjà d'une livre en 3 jours. Il considérait ma "ligne haute-couture" comme un grand danger.

            Cela coûtera peut-être beaucoup d'argent, mais grossir, cela vaut de l'or. Je lui suis très reconnaissante et me sens déjà mieux.

            Il est maintenant plein de prévenances, et veux me faire des prix spéciaux. Il m'a pris 350 frs. pour un premier examen avec analyse de sang et de l'urine, radio et sondage de l'estomac. J'ai payé de suite, c'était inévitable. Généralement, il prend mille francs, m'a dit sa secrétaire. Ce que le sanatorium de Bühlerhöhe n'a pu faire, l'avenue du Bois le fait. Là-bas, on me donnait du lait et des œufs nature, et, bien entendu, je ne les tolérais pas. Ici, une fois avalés, ils sont artificiellement digérés par un appareil.

            Si seulement tu me racontais un peu plus en détail comment s'écoulent tes journées !

            Adieu, je suis si fatiguée, j'ai beaucoup travaillé et j'ai toujours 38 ° de température, le soir. Adieu

                                   Zouzou

            Voudrais-tu me répondre à une question importante ? (Ne pas oublier !) Hildenbrandt est-il de nouveau à la rédaction du feuilleton du Berliner Tageblatt, ou le chef est-il toujours Sinsheimer ? Tu indiques toujours tout d'une façon vague, et me laisses dans l'incertitude.

            Ce serait délicat de ta part d'écrire quelques mots à Mlle Stil. Elle a été opérée de l'appendicite, et je crois qu'elle a été très malheureuse quand je lui ai dit sur un ton moqueur qu'elle devrait prendre patience, qu'elle n'est pas la seule, etc.. Le même jour, une de tes "amies" avait téléphoné. D'ailleurs, Marianne Oswald téléphone si souvent et insiste tellement pour me revoir, que j'ai dû finalement l'inviter. Sinon, tu m'accuserais d'impolitesse.

* Verlag E.P. Tal & Co. Leipzig/Vienne

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du 29.2.1932  MST p.101/102/103

                                                                                  Berlin 29.2.32

Chère Zouzou.

            29 février : on nous fait cadeau d'un jour de plus cette année ! Avez-vous, à Paris, vous aussi, des jours de soleil-fixe, des jours clairs ? Pour Berlin, c'est un hiver tempéré ; il gèle bien, mais il ne tombe pas de neige. Ce climat m'est favorable. Je n'ai pas encore eu une seule crise de grippe. D'autres personnes aussi ne se plaignent jamais de cette espèce de faiblesse qu'apporte à tous l'air trop mou de Paris. Mais tu me parles déjà d'amiraux et de primevères : tu baises déjà le printemps, qui paraît encore ici quelque chose d'impossible !

            Et o ta dernière lettre si douce ! comme j'ai eu envie de te serrer dans mes bras avec ta taille de figurine de mode, d'observer combien tu engraisses depuis que Meunier t'injecte ton beafsteack quotidien : te sens-tu mieux maintenant ? Je me lève avec toi, je te vois partir dès 8 heures pour le Boul. Suchet; à ce moment, ici, il est déjà 9 heures ; et je te vois rentrer à la maison avec le bouquet de roses de cire !

            Est-ce que le merle picore les baies du lierre ?

            Et tu rêves déjà d'un nouveau roman, et tu y travailles. Oh ! dis vite ce que c'est ?

            Ici, j'ai fait une trouvaille merveilleuse : " Das deutsche Lesebuch" de Hugo von Hofmannsthal contient les joyaux de cent années de prose allemande. On découvre tous les jours, dans ce livre, de nouveaux trésors. Je te le rapporterai.

            Comment je vis, à part ça ? Toute la journée, je cours après mon avenir. Je ne compte plus beaucoup sur la pièce. Je ne cherche plus qu'à bondir sur la selle de cinéma, et ensuite, ayant un peu de sécurité, je m'adonnerai modestement à l'art, à la poésie. C'est pourquoi je me cramponne encore à l'espoir de Mme Topoly, et appelle Paris à l'aide. Sinon, je ferai encore "antichambre" ici pendant des semaines.

            Merci pour la "Jungfrau von Paris", mais - hélas - j'ai besoin plutôt de l'autre version, qui est également dans le classeur ; c'est un manuscrit tout semblable, et je te prie de me l'envoyer immédiatement - j'oubliais que celle-là aussi était restée à Paris.

                                                                                                          Soir.

            Je viens de téléphoner à Krell : il n'a pas encore lu "Arsenic". Ces gens ! Avec Tal, nous allons voir : mais attends maintenant et ne dis rien, tout au moins à lui.

            Téléphoné aussi à Mme Topoly : le Dr Deutsch est en voyage pour toute la semaine. Oh ! l'impatience me fait grincer des dents ! Rien, absolument rien, ne veut me réussir ! et pourtant, je cherche honnêtement une occupation, fut-elle peu honorifique : synchroniser ! Le temps presse. Rien n'arrive. Et je tourne en rond. C'est pourquoi, encore une fois, une incitation venant de Paris était devenue nécessaire.

            Articles ? cela aussi. "Vu" organise un numéro sur l'Allemagne. Vogel est à l'Adlon, avec tout un état-major de collaborateurs, parmi lesquels Soupault. Un soir, nous sommes sortis ensemble. J'écris aussi quelque chose pour ce numéro : "Paris à Berlin", et j'ai déjà reçu 50 M. Mais, dois-je, comme tu le proposes, me contenter éternellement des détritus de "Vu" et de "Paris-Soir" ? Alors, seras-tu fière de moi ?

            Sinsheimer est, et reste, bien entendu, le chef des feuilletons du Berliner Tageblatt. Hildenbrandt s'est encore une fois mis en congé. Il aurait, de nouveau, quelque chose à dire chez Mosse. Possible, mais …

            J'ai de la nostalgie : une grande nostalgie intime de toi, Zouzou.

            Mais je ne peux pas, je ne veux pas rentrer à la maison en pauvre Moïse inactif !

                                                           Comprends-tu

                                                                       ton impatient

                                                                                  Garçon ?

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 3 mars 1932   MST p.103

                                                                                              3.3.32

            Chéri,

            J'ai envoyé une lettre à Maria Deutsch (*), car j'ai trouvé cela mieux qu'un coup de téléphone, parce qu'au bout du fil elle se récuse le plus souvent. J'ai écrit que je voulais la voir, je l'ai remerciée aussi pour ses dispositions amicales à nous aider. A présent, il faut attendre qu'elle ait l'idée de me répondre et de vouloir me voir.

            Par le même courrier, l'autre "Germaine".

            Prends tout ton temps, ne sois pas impatient. Je ne le suis plus, moi non plus, nous arriverons toujours une fois à Majorque. Renate Green est partie hier là-bas pour quatre semaines. Tout s'envole là-bas, comme tu le vois par la coupure ci-jointe.

            Le nouveau roman ? Un roman d'amour naturellement. Mais comme c'est donc difficile!

            Le papillon est encore toujours chez nous. Les merles chantent à  6 heures ½ (heure de Berlin) et je chante :

                                                           [Iwan]

(*) Maria Deutsch-Piscator

Le 15 mars 1932 Ivan Goll quitte Berlin pour Paris

Paula passe la semaine de Pâques (dimanche 27 mars) avec son fils à Salem/Bodensee et ensuite vraisemblablement à Voralberg

lettre d'Ivan Goll Cologne à Paula Ludwig Berlin du 15 mars 1932 ImsL p.59/60

à traduire depuis la salle d'attente à ta table

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 17 mars 1932 ImsL p.61

à traduire

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 24 mars 1932 ImsL p.61

à traduire

Le 24 mars 1932 Claire part en cure à Saint-Jean de Luz, près de la frontière espagnole

lettre de Claire train Paris-Biarritz à Ivan Goll à Berlin 24 mars 1932   MST p.104/105

                                                                                              [Train de nuit Paris-Biarritz]

                                                                                              [24 mars 1932]

            Cher toi, à l'instant encore, j'ai vu à la fenêtre ton pâle, triste visage. Et maintenant, tu es poussière, déjà insaisissable, évanoui. Pourtant, je tiens encore ta tête contre mon cœur.

Mais je ne puis presque pas le faire, car je vois toujours cette tête couchée sur le sen d'une autre.  Pourtant, comme je voudrais maintenant, te voir planer dehors, dans le sombre ciel de la nuit, près de moi, souriant et léger, encadré d'étoiles ! Pourquoi ne peut-on toujours être avec l'autre que dans la solitude, dans la séparation ? Pourquoi le présent est-il toujours un frein, pourquoi refroidit-il l'âme ? Dès que l'on voudrait aller l'un vers l'autre le gel est là, des glaçons dans l'âme. Et tu n'aurais qu'à tendre la main, à ouvrir les bras. Cela suffirait-il ? Oui, c'est justement cela. La nuit, il est plus difficile d'avoir un sot orgueil. Quand un train roule, et qu'un adieu brûle, ah ! comme on presse alors son amour contre soi ! Comme on sent le temps perdu qui ne peut plus être rattrapé. La fugacité de tout crée alors la même angoisse que si deux êtres, qui devraient n'en faire qu'un, étaient dispersés dans des univers différents.  Toi, mon petit garçon, moi une petite fille, pourquoi nous rendons-nous mutuellement si pauvres ? Pourquoi, n'étais-tu pas là cet après-midi quand le merle chantait, pourquoi ne voyages-tu pas à présent avec moi et l'étoilé ?

            Le train dit : "Jean-de-la-lune", "Jean-de-la-lune". La légende de l'homme qui est dans la lune. La lune viendra bientôt et alors, je te reverrai. Bonne nuit  !

            J'ai vu se lever une grande lune d'or rouge, mais tu n'étais pas dedans. Elle était encore tout contre la terre, et aplatie du bas comme une pièce d'or limée par la rotation.

Le sommeil n'est pas venu, mais le matin. Des pins avec leurs petits pots à résine contre leur tronc, des camélias, des amandiers en fleurs et les "landes" infinies. Quel pays digne d'amour, cette France !

            Et maintenant, je suis déjà au lit (9 heures du matin), j'ai pris un bain et je regarde, par la fenêtre, le soleil et l'azur qui environnent le palais que ce sont fait construire naguère Napoléon III et Eugénie.

            Bientôt viendront le "vin d'honneur" et le réveil dans la banalité.

            J'ai une grande surprise pour toi. Le directeur m'a confié cette nuit qu'en mai, il y aura une nouvelle caravane vers l'Espagne jusqu'à Majorque, et que Claire et Yvan en feront partie. Souris donc vite

                                               Ta Susu

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee Vendredi-Saint 25 mars ImsL p.62/63

à traduire

: parle de la Passion

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee Samedi-Saint 26/3/1932 ImsL p.63/64

à traduire

                                   Ivan

                                               qui t'aime

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee  5 avril 1932 ImsL p.64/65

à traduire

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 14 avril 1932 ImsL p.65

à traduire

…O je suis très inquiet.

                                   I

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 19 avril 1932 ImsL p.65/66

à traduire

Ton

            Mignon

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 24 avril 1932 ImsL p.66/67/68/69

à traduire

                        Mignon

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 1 Mai 1932 ImsL p. 70/71

à traduire

Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : très longue lettre du 3 mai 1932 IsmL p.71 à 75

à traduire  ****.

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 10 mai 1932 ImsL p.75 à 78

à traduire

            

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20 mai 1932 ImsL p. 78

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 26 mai 1932 ImsL p. 79/80/81

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 4 juin 1932 ImsL p. 81/82

à traduire

carte postale d'Ivan Goll  Nancy à Paula Ludwig Berlin  10 juin 1932 ImsL p.82

à traduire

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 22 juin 1932-11h50 ImsL p. 83

IMPOSSIBLE AVANT LE 15 JUILLET

FURONCLE. FINANCES

LETTRE SUIT

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 22 juin 1932 ImsL p. 83/84/85

à traduire

Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : très longue lettre du 23 juin 1932 IsmL p.85/86

                        De toute mon âme

                                               Paula

            

à traduire

Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris 24 juin 1932 ImsL p. 87/88

            Fais que ce ne soit pas trop lourd pour moi

                                                                       Paula

à traduire ***

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 28 juin 1932 ImsL p. 88 à 92

à traduire

Paula Ludwig Berlin  à Ivan Goll Paris 29 juin 1932 essentielle ImsL p. 92à 97

            Et ainsi je demeure Ta

                        Paula

*** à traduire

                                   Je t'aime

Ma prochaine adresse :

Ehrwald

Tyrol

Maison 321

Autriche

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  5 juillet 1932 ImsL p.98

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  11 juillet 1932 ImsL p.98/99/100

à traduire

au départ d'Ivan, Claire Goll trouve le petit mot habituel sous son duvet 18.07.1932 MST p.105

                        ZOUZOU

                                               Crois en moi

                                               Attends-moi

                                               Je t'aime

                                                           Yvan

Du 18 juillet au 5 septembre, Yvan est chez Paula Ludwig à Ehrwald/Tyrol

à vérifier

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Ehrwald 18/7/1932   MST p.105/106

Paris 18 juillet 32

Sois là-bas, et non ici, et livre-toi au bonheur.

Travaille et achève  "l’Eurocoque".

J’attends et sais que lorsque cette attente-ci sera terminée,

ces deux années seront mortes et nous ressusciterons tous deux,

-          enlacés comme jadis :

C laire

                                     wan

Une seule chose, - même aux instants où je perdais la tête et les

"cuisses" : jamais je n’ai permis à un autre de te critiquer, jamais

je n’ai encouragé quelqu’un à le faire. Je sais que Paula L., travaille

tant qu’elle peut, à détruire l’image de moi que tu portes dans ton cœur.

Tu es mon mari, mon frère, mon ami.

C’est au dernier que je m’adresse, au noble ami, afin qu’il me

Protège contre le premier, qui, par instants, a soif de se venger.

               Aux soirs de notre passion, entre 1921 et 1928, quand je te

chantais les Lieder de Brahms, Schubert et Schumann, tu me demandas,

les larmes aux yeux : " Promets-moi de ne jamais chanter pour un autre".

               Là-dessus, tu juras solennellement de ne jamais jouer du Chopin

pour une autre.

               J’ai tenu ma parole à travers toutes les années. A vrai dire, je n’ai

pas non plus ton génie de virtuose. Je te libère de ton serment.

               Mais quelquefois, quand tu joues de la mandoline ou de la guitare,

Rappelle-toi que tu fus mon " Mandolinete ",  mon " Mandolinschen "

                                                                                     Zouzou

Télégramme d'Ivan Goll Ehrwald 20/7/1932 MST p.106

                                               Ehrwald 20 - 07 – 1932

                                                           Claire Goll

                                                           19, rue Raffet, Paris

            Les sons de mon âme t’appartiennent. Mes doigts ne sanglotent

            Que pour toi . Seule la mort délivre du " serment Chopin ".

            Personne ne sait que je joue de la mandoline .

Mandolinete

( Meiner Seele Töne : Les sons de mon âme est le titre choisi pour la correspondance Claire/Yvan Goll )

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 juillet 1932-10h00 ImsL p. 100

ARRIVE MARDI SOIR VIA MUNICH

                                                           IVAN

Télégramme d'Ivan Goll Munich à Paula Ludwig Ehrwald 26 juillet 1932-7h30 ImsL p. 101

ARRIVEE  DEJA  MIDI

                                                           IVAN

Yvan arrive le 26 juillet à midi et vit jusqu'au 5 septembre 1932 chez Paula à Ehrwald

à vérifier

lettre d'Ivan Goll Ehrwald à Claire à Paris du 4.8.1932  MST p.106/107

                                                                       Ehrwald, 4 août 32

                                   Chère petite Zouzou ,(Zuzulein)

                        Le moment est aussi peu propice que possible aux brisements de

Cœur. Les médecins spécialistes disent que le mois d’août ne s’y prête pas du

tout. Avril et mai ont été là pour ça, avec leurs petites cruches lunaires remplies du

miel de la consolation. En août, on devrait voyager et oublier. C’est le mois

" bête ". Sois donc sage , et vas bientôt à Schall et à Challes .

Je t’ai fait transmettre hier par la Schweizer Bankgesellschaft 500 Fr pour que

tu les portes immédiatement à la Perception, 6, rue Poussin, en y joignant la feuille

bleue que je t’ai laissée. Tu auras à payer 509 Fr. : 9 Fr est le supplément pour les

frais qu’a causés, l’autre jour, la visite des deux messieurs en noir . Et je serais en

grand souci, si cela arrivait encore, au cas où tu ne porterais pas cette somme tout

de suite.

            Il y a eu, à la fin de la semaine dernière, trois jours éblouissants, pendant

lesquels j’ai fait de grandes excursions : à l’Ehrwalder Alm, au Fernpass. Comme

c’était bon de se détendre encore une fois ! Mais depuis lundi, il pleut sans arrêt :

peu importe, dans les montagnes, même la pluie est belle .

            Entre temps, les poèmes dont je t’ai parlé par lettre m’ont paru de plus en plus

Pâles . Je t’enverrai néanmoins l’un d’entre eux. Il faut espérer que, d’ici à Paris, il

ne s’évanouira pas complètement .

                                                           Et je te prends

                                                           Dans mes bras en silence

                                                                                              Iwan

lettre d'Ivan Goll Ehrwald à Claire à Paris du 24.8.1932  MST p.107/108

                                                           Ehrwald, 24 . 8 . 32

                                                           mercredi

                                   Chère Zouzou,

            Suite et fin de ma lettre d’hier.

            Nul ne pourra m’empêcher de proclamer encore une fois , et toujours

à nouveau, que ton livre est d’une forme tout à fait grandiose .

Deux résultats qui portent ton empreinte :

            1) La province enfin clouée au pilori, vue jusque dans le plus petit

détail, étudiée avec une patience divine . Quel regard ! Quelle ouïe ! Jusqu’à

un demi-siècle, personne ne pourra le refaire mieux .

            2) Un meurtre de femme, éclairé jusque dans les mouvements les plus

secrets de l’âme, expliqué, excusé ! Vécu ! Souffert ! Payé ! Suzanne, que cette

meurtrière est belle, bonne, digne d’être aimée .

Quelles profondeurs de la destinée terrestre sont sondées, découvertes par l’accomplissement obligé de cet acte !

Je sais ce livre au-dessus de tout ce qui a été écrit en France, ces dernières

Années : au-dessus de Mauriac, qui est bien plus pauvre, de Green, qui est bien plus

nerveux, et des autres, qui sont bien plus éparpillés . Ton  " Crime en province " est

émouvant, supérieur, sûr, plein d’âme, et surtout, plein de toutes les souffrances du

monde et d’un cœur de femme . Parfois, en une seule phrase, quelles lueurs projetées

dans les ténèbres de notre être. Dans un paragraphe, quelle étreinte de la triste créature

avec la magnifique nature .

            Je te renvoie donc aujourd’hui les corrections. Mais cela me semble être les

premières "bonnes feuilles". Tu recevras certainement encore la mise en page. Dans

cette multitude d’améliorations (qui, toutes, relèvent si considérablement le style !) tu

devras t’assurer encore une fois que le type a tout compris correctement. Et sais-tu

que ces corrections vont coûter terriblement cher, presque plus que le texte lui-même ?

au moins 1.000 ou 1.500 Fr. Ton éditeur Burnand sera furieux. Et s’il te retient ses frais,

il ne te restera rien du paiement convenu. En conséquence, je réclamerais tout de suite le

paiement, sous un prétexte sentimental quelconque : voyage à Plombières, etc.

            Car il faut que le livre paraisse dès maintenant . Burnand est complètement engagé.

Et quand ? Je vois peu de possibilités, techniquement, pour qu’il paraisse avant le 25 septembre : encore des bonnes feuilles, l’impression, le brochage … et cette date est

préférable pour toi.

            Donc, entre temps, tu iras à Plombières . Est-ce que ces quelques jours à Challes suffisent vraiment ? Tu te maltraites. Mais ne perds pas de temps à Paris, cette fois ! Repars vite.

            Rosa a des vacances magnifiques. Il est impossible que tu lui donnes de nouveau 400 Fr.le premier du mois, plus 250 Fr pour manger . Tâche d’arranger ça autrement . C’est trop bête de gaver ainsi une esclave.

            Et, avant tout, pense à ta santé

                                                           Et à ton

                                                                       Iwan

Télégramme d'Ivan Goll PARIS à Paula Ludwig Ehrwald 6 Septembre 1932 - 11h03 ImsL p. 101

AI  MEME  TROUVE  MERE  MALADE

SUIS  MOI-MEME  MORT  DE  T'AVOIR  QUITTEE

                                                                                   IWANA

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald   6 Septembre 1932 ImsL p.101/102

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald   8 Septembre 1932 ImsL p.102/103

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald   10 Septembre 1932 ImsL p.103/104

à traduire

Paula Ludwig  Ehrwald  à Ivan à Paris : du 13 SEPT 1932 IsmL p.104 à 106

*** à traduire

Paula Ludwig  Ehrwald  à Ivan à Paris : longue lettre du 14 SEPT 1932 IsmL p.107/108

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  16 Septembre 1932 ImsL p.108 à110

à traduire

Paula Ludwig  Ehrwald  à Ivan à Paris  lettre du 17 septembre 1932 IsmL p.110/111

à traduire

Le 19 septembre  Yvan et Claire vont à Majorque pour une nouvelle cure de Claire et ils reviennent à Paris à la mi-octobre

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  19 Septembre 1932 ImsL p.112/113

à traduire

Paula Ludwig  Ehrwald  à Ivan à Paris  lettre du 21 septembre 191932 IsmL p.113 à 115

à traduire

Carte Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Ehrwald  22 Septembre 1932 ImsL p.115

à traduire donne son adresse

Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Berlin  27 Septembre 1932 ImsL p.116/117

                                   Totalement totalement à toi

                                                                                  I - Wana

*** à traduire

                        1

Je veux parfumer l'aube comme l'anis 

Pour que ton cheval trouve plus vite

Le sentier de ma solitude

Je veux être plus faible que le nuage

Suspendu au-dessus du volcan

Et qui tombe au premier souffle du vent

Plus douce que la pistache verte

Tes dents aimeront me broyer

Me mêler à ta chair

Palma de Majorque 29 Sept. 1932    

            2

Cueille : o toi qui les choyas

Les deux oranges de mes seins

Tu les as voulues lisses

Pour plaire à tes paumes

Et fraîches pour la soif nocturne

Ouvre-les

Dévore-les

Que leur sang d'or

T'abreuve et te nourrisse

Palma de Majorque 30 Sept. 1932    

Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Berlin  5 octobre 1932 ImsL p.119/120

            Je ne suis pas en Espagne, je suis en ton sang

                                                                       ton Wana

*** à traduire

Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Berlin  6 octobre 1932 ImsL p.121/122

                        Je suis Ton Ta

                                                           Wana

à traduire

Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin  2 novembre 1932 ImsL p.134

SUIS 10 NOVEMBRE DANS TES BRAS

                                                                                  WANA

Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin  10/11/1932 - 0h35 ImsL p.137

LUNDI  MINUIT

                                                                       TON WANA

Le lundi 14 novembre, Yvan part pour Berlin. Il vit chez Paula Ludwig jusqu'au lundi 26 décembre car il a l’excuse d’un rendez-vous à Munich avec le Dr. Daniel Brody, Directeur de Rhein Verlag le lendemain de Noël. Il rentrera à Paris pour le réveillon du Jour de l'an. Claire Goll vit alors à Paris.

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du 15.11.1932  MST p.107/108

Berlin, 15.11.1932

Aimée,

Depuis que je sais quelle chaude flamme s’est remise à brûler à Auteuil, le Halensee me paraît plus gris et plus froid qu’à mes séjours précédents. Je peux ddès maintenant te révéler que tu as accompli un geste diplomatique et courageux, lorsque tu m’as renvoyé.

Et si tu supportes jusqu’au bout cette vraie solitude avec un calme boudhique, la victoire nous sera certainement assurée à tous deux.

Je te remercie aujourd’hui pour tout, et suis, à toutes les heures, près de toi.

                                                                                                                   Iwan

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin novembre 1932   MST p.109

                                                                      Paris

                                                                       Novembre

Mon tout doux,

            Sauve toi, je suis très touchée par le petit cheval, notre nouveau Pégase si fragile. Il est à espérer que ton œuvre s’achève ..

            Sois aussi heureux que tu le pourras.

            En grande tendresse

                                               Sousou            

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 4 décembre 1932   MST p.109

                                                                       4 déc. 32

Bienaimé

            Je suis très effrayée. S’il te plaît, rassure-moi de suite, car tu ne sembles pas tout me dire. Tu n’es pas sérieusement malade ? Quel est le médecin qui te soigne ? Consulte tout de suite un spécialiste éminent, car ils ont un diagnostic plus sûr pour les maladies internes.

L’argent, ça n’entre pas en ligne de compte ! Accepte de moi ce qu’il faut dans ce cas . S’il te plaît, envoie-moi un télégramme, je suis toute malheureuse et inquiète. Est-ce le cœur ? est-ce une maladie du sang ? Les globules blancs mangent-ils les rouges ? C’est peut-être à cause de cela que tu ne m’aimes plus. Chéri, je te serre sur mon cœur, dis-moi la vérité ! Va tout de suite voir un spécialiste, demande le nom d’un très grand médecin au Dr Hans Kleinmann, à la Charité.

                                                           Ta Zouzou

Nous avons connu Kleinmann à Malcesine, dans la pension Geyer, te rappelles-tu ?

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin décembre 1932   MST p.111

                                                                       Paris  déc. 32

Chéri,

            Il me sera difficile de te répondre. Ta lettre m’a fait mal. Oui, je m’étais beaucoup réjouie de te revoir. La dernière phrase de ton écriture agitée parle-t-elle de la joie que tu en auras aussi ? Je veux essayer de le croire .

            Trois jours ? et je dois en faire cadeau ? comme si tu n’étais pas libre de faire ce que tu veux. Seulement, il était indélicat de renier les 15 années écoulées pour justifier un manquement à ta parole. Dans ces 15 années, il y a eu autre chose que "le fait d’aller nous coucher à neuf heures".

            Et n’y avait-il pas, auparavant, des possibilités de faire cette connaissance plus intimen puisque Rowolt est l’amant de l’amie de Paula ? . . .

            Méfie-toi du médecin allemand.

            Hormones, hypophyse . . . je ne connais ça que trop bien, par Strohmann. Pense à lui et à Meyer-Hermann, il y a un charlatan en tout médecin allemand.

            Sois heureux, car tu peux bien l’être, puisque tu es aimé.

                                                           Zouzou

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin lundi 26 décembre 1932   MST p.110/111***

                                                                                  Lundi

            Iwan, l’as-tu senti que, ces nuits-ci, je criais. Mais ta lettre express est tout de même arrivée trop tard. Tu peux l’interpréter comme tu veux, aimé, - que tu passes ces jours de Noël là-bas, cela me fait plus mal que le reste des 6 semaines. Que m’importe le Mingpferd.

Cet enfant est broyé par son mauvais guide .

            Que dois-je entreprendre à présent, je souffre tant Je n’ai pas voulu voir I., bien que je connaisse son adresse depuis longtemps, et bien qu’il m’ait écrit. J’ai échappé à tout le reste, mais tu étires la durée de notre séparation, faut-il donc que je continue à ne rien pouvoir faire de moi ?

            Depuis longtemps, nous ne sommes plus quittes. Ceux qui ont pris ton parti, ceux qui ont entendu nos accusations réciproques, comme Lucie et Renée (*), te proclament plus que coupable.

            Et veux-tu faire semblant de ne pas avoir eu 4 semaines disponibles, et de ne pas avoir encore largement le temps de faire une excursion de 3 jours à Munich. Parce que tu n’as pas l’argent du voyage. Ci-joint un papier de la Deutsche Bank qui prouve le contraire. A cause de la " mitraillade de Kiepenheuer et de Rohwolt". Mais Kiepenheuer t’a décommandé, d’après ce que tu m’as écrit la dernière fois, et Rohwolt doit être conquis par une fête. La même fête où tu te montres publiquement comme mari de P. L.

            Pendant qu’ici, avant-hier, chez Monsieur et Madame Pabst, je me battais pour t’obtenir une situation artistique : je l’obtiendrai très probazblement. Je n’ai pas soufflé mot de moi-même, comme tu le crois toujours. J’ai fait là-bas la connaissance de Mittler, et rencontré Leonhard. On me pose toujours des questions au sujet de mon mari. Comme si j’en avais encore un !

            Parlons maintenant de ta maladie. Tu la partages avec Hélène Eliat. Elle aussi, elle a été traitée à Berlin par les plus grands spécialistes des glandes, à cause d’une faiblesse de l’hypophyse.

            On lui a injecté de l’extrait d’hypophyse et des hormones. Elle a supporté extrêmement mal l’un et l’autre. Là-dessus, elle a reçu un médicament, dont elle m’a donné aussi, car "tous les gens doués souffrent plus ou moins de déficiences de ladite glande", a dit le spécialiste. A moi, ce remède n’a fait aucun bien. Elle, dès qu’elle a cessé de la prendre, elle a eu des insomnies. A présent, il la traite avec des fortifiants de l’état général. Elle m’a dit : la question des glandes est bien loin d’être éclaircie, et l’on se sert des gens comme cobaye. En outre, se faire soigner les glandes est devenu une mode.

            Scherl a refusé mon roman depuis longtemps : je n’ai plus besoin de Monsieur Distler.

J'ai de l'affection pour toi, beaucoup d'affection. Je n'ai jamais cessé de t'aimer, même à l'époque du plus violent égarement. Dieu seul sait combien je me suis torturée dans ces années-là. Rappelle-toi donc un concert de l’an dernier. I était assis derrière nous (Salle Pleyel). Je me suis penchée vers toi et j’ai murmuré : "Mais je n’aime que toi"

Quand pourrai-je jamais supporter, à nouveau, la musique ?Tous les violons sautent et les archets sont surtendus. Mais je crois au dieu juste des juifs, et il doit comprendre que, s'il y a "œil pour œil", il n'y a pas "deux yeux pour un œil", deux yeux qui s'usent à pleurer, nuit après nuit, tandis que l'autre rit et célèbre des fêtes.

                                                           Zouzou

(*) Madame Philippe Soupault

                                                           1933

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 6 janvier 1933 ImsL p.147/148

Chère Palu

                                   ton petit W

à traduire

La Voss [3] m'apporte beaucoup, beaucoup de joie. Beaucoup de joie parce qu'elle t'en apporte autant à toi, tout autant que les heures saintes que nous appréhendons pour notre destin. La tête de Méduse devait consacrer ta puissance. Mais la fleur d'or de ce jour qui arrive, j'espère, ne se flétrit pas et doit t'apporter un bonheur tendre dans une année nouvelle de travail et de recueillement

                                                                                   Wana

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 11 janvier 1933 ImsL p.149/150

à traduire                                                      mercredi soir  11.1.33

                                                           WANA

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 12 janvier 1933 ImsL p.149/150

à traduire                                                      jeudi matin  12.1.33

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20 janvier 1933 ImsL p. 152

à traduire

Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : longue lettre du 21 janvier 1933 IsmL p. 152/153/154

                                                                                              21.1.33 [Berlin]

Mon petit Wana, Palu a fait un long somme. Sa tête plongeait dans la mousse des forêts de la mélancolie.

Elle raconte son rêve) à traduire

Et à cet instant, un ami, (un ami naturellement) me montre un magazine. La photo d'un couple d'écrivains et m'interroge : "Le sais-tu ? Mais je n'arrivais pas à reconnaître. La détresse ralentit mon cœur

à traduire

Une toile d'araïgnée était suspendue à ton cher visage et au premier plan, il y avait une esquisse qui me faisait peur […] Le fait que pendant 15 ans, tu as vécu à côté d'une femme dont émane une telle froideur assassine […] Mais où est le grand, le remarquable Yvan, élargissantant ma nuit, comme un démon. L'esprit auquel mon livre fait allusion, la personnalité qui surpasse toutes les personnes de ma vie […] Explique toi à moi, explique toi, avant que le gel ne touche toutes les fleurs de notre foi. Combien de morts as-tu encore en réserve, qui doivent émaner sans cesse comme des fantômes et qui obligent mon âme à quelque chose d'incompréhensible, à la solution d'énigmes que je ne peux pas toucher de mes mains. Est-ce que toute ma capacité de résistance ne m'a servi à rien, le fait d'ignorer cette existence - de sorte que maintenant, en me tournant vers le monde objectif, revenant en arrière, je dois reconnaître que mon propre territoire est en grande difficulté. Ce territoire qui semblait destiné à être un Paradis, est blanchi par l'hiver. » (IG /PL, p.153/154)

                        manque la fin de la lettre

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 27 janvier 1933 ImsL p.154/155/156

                                                           Paris 27.1.33

Chère petite Paula

Depuis ma dernière carte bleue, j'ai attrapé une mauvaise grippe.

à traduire

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20 janvier 1933 ImsL p. 156

                                                                                              2.2.33

Mais Palu,

à traduire

Lettre d'Ivan Goll à Georges Hugnet        

Paris, 1er février 1933

Hans Arp est en ce moment chez moi et me dit que vous êtes prêt à me donner un manuscrit pour la collection de poèmes que je prépare. Je m'en réjouis beaucoup et vous prie de me l'envoyer aussitôt que possible, car tous les autres sont déjà sous presse.

Bien amicalement

Votre Ivan Goll

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 2 février 1933 ImsL p. 157/158

                                                           Paris 2.2.33

Chère Palu

Je

à traduire

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 3 février 1933 ImsL p. 158

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 6 février 1933 ImsL p. 158/159

                                               Paris 6..2.33

Chère petite Paula

à traduire

Feuillet trouvé sous mon édredon   (Claire Goll) 

                                               9. 2. 33

Beaucoup d'amour pour toi

est dans cette maison

et dans mon coeur.

Ivan

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 11 février 1933 ImsL p. 160/161

                                               Paris 11 février 33

Ma chère petite Paula

à traduire

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  20 février 1933 ImsL p.161

                                               Paris 20 février 33

Palu

                                   Manyana

à traduire

                                               *

Le poivre rouge crie

Il ne peut plus taire son désir

Le buisson de vanille

Est un nuage de volupté

Une tempête de cannelle envahit le monde

L'arbre de pluie

M'a jeté sa première larme

        Paris 22.2.33   

[CHANSONS  MALAISES  1935 (9)              II/184]

Paula Ludwig  Ehrwald  à Ivan à Paris  lettre du 29.2.1933 (????) IsmL p.163 à 165

à traduire ****

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  3 mars 1933 ImsL p.167/168

                                               Paris 3.3.33

O Palu

A la 3 ème heure du 3 ème jour du 3 ème mois de l'année 33, je recevais tes 3 lettres

elles sentaient ton haleine, ta révolte, ta grâce et se mettaient à trembler de ta colère, mais à cette heure, comme tu le désire, je lève trois doigts et je jure :

Jamais je n'étais autant toi qu'aujourd'hui, totalement ton outil,  totalement ton œuvre !

J'écrivais ces lettres dans une extase riche en malheur..

                                  

vérifier ma traduction et traduire la suite

                                               Manyana

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  15 mars 1933 ImsL p.170

                                                                       Ides de mars 33

Von schwarz und weissen Federn      

Palu ist deine Krone

Federn trugen des Vogels Gesang

Federn trugen sein bleierner Sarg

Von Schwarz der fragende Nächte

Von Weiss der wissenden Tage

Sei deine Herrschaft

Prinz der Welt

II/188

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  17 mars 1933 ImsL p.170/171/172

                                               Paris 17.3.33

Ma chère Palu                                                            

                                               Ton

                                                           I.

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  17 mars 1933 ImsL p.172/173

                                                                      17.3 [1933]

                                                                                  [Paris]

Je serais coupable si je ne te donnais pas encore maintenant beaucoup de réponses:

Rien de nouveau, encore jusqu'à présent pour mon "Lucifer vieillissant". A cause des circonstances en Allemagne. Je ne me risque pas davantage de demander à Kiepenheuer et Rhein-Verlag.  Et eux, ne prennent pas le risque de répondre. Entre temps, de mon côté, je travaille encore. J'ai résolu  intégralement la partie du milieu : toutes les histoires de femmes qui te

vérifier ma traduction et traduire la suite

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  27 mars 1933 ImsL p.173/174/175/176

                                                                           Paris 27 mars 33

O Palu                               

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Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  29 mars 1933 ImsL p.173/174/175/176

                                                                           Paris 29 mars 33

Chère Palu                                                                

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carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  [mars/avril 1933] ImsL p. 177

Chère Paula : vient d'arriver de Garmisch splendide livre avec les oeuvres d'art de. Prends ici en attendant un triple merci et salut pour tout 321.

                                                                                  I.                                           

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  12 avril 1933 ImsL p.178/179

Chère Palu                                                                

traduire

Paula Ludwig  Ehrwald  à Ivan à Paris  lettre du 18 avril 1933  IsmL p.179/180/181

                                                                                  mardi de Pâques 33

Ma main est encore chaude de la dernière chaleur du petit oiseau qui mourait ce matin dans ma main.

à traduire **** la fin de la lettre manque

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  24 avril 1933 ImsL p.181/182

Ma Palu                                             

traduire

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  10 mai 1933 ImsL p.182/183

Chère Palu                                                                

traduire

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  18 mai 1933 ImsL p.184/185/186

Chère Palu                                                                

traduire

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  31 mai 1933 ImsL p.186 à 189

Chère Palu                                                                

traduire

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  14 juin 1933 ImsL p.189 à 192

Chère Palu                                                                

traduire

de la mi-juin au 11 juillet, Paula est à Berlin. Du 12 juillet au 5 août, elle vient  voir  Yvan à Paris avant de repartir à Berlin

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin  6 juillet 1933 ImsL p.192/193

Chère Palu                                                                

traduire                              

S'il te plaît, écris-moi immédiatement

Et salue Berlin - non !

Mais Nina

et Gisèle et les amis d'autrefois

                                               Ton

                                                           I

Claire part en cure à Plombières du 10 juillet au 8 août, date où elle se rend à Haybes-sur-Meuse au Château de Moraypré

lettre de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 10 juillet 1933   MST p.112/113

Bien-aimé,

Voici que nous sommes séparés depuis dix minutes et et j'en ai passé neuf à sangloter comme une orpheline. Blottie derrière le fourgon à bagages, je te voyais t'envoler et te métamorphoser de mille manières avec le paysage. Oui, voler comme un ange gardien, avec de petits flacons de parfum, du jambon et du fromage, chargé de valises, transpirant et toussant. Si seulement les anges gardiens ne prenaient pas froid à faire tout cela ! Mais je pense qu'un autre ange gardien te protégera aussi. En tout cas, je t'embrasse pour tous ces dons d'amour - et ces gestes d'amour, je te baise les mains avec ferveur, encore une fois, ces chères bonnes mains qui ont eu tellement chaud pour moi.

Maintenant, il y a tant de roses épanouies en pleine splendeur, dans les petits jardins des vilains pavillon, qu'ils anoblissent la banlieue. De même que tu m'as donné - en flacon - tous les muguets de Chantilly, je voudrais t'envoyer dans ta petite chambre des roses sauvages, pressés avec mon coeur. Jamais on ne s'aime assez. Par fierté, par timidité, on reste toujours tellement le débiteur de l'autre, et on en souffre.

            Et les sanglots montent et descendent dans la gorge, comme dans un thermomètre, selon qu'on pense plus chaleureusement ou plus froidement, et selon les rafales du "foehn" de l'adieu.

            Mais à présent, le train me secoue si terriblement que je ne peux plus rien écrire, mais seulement sentir. Sens tout, toi, ce que je ne peux pas dire, mon doux petit grand garçon, que je prends dans mes bras avec tendresse et prudence. .

                        Ta Zouzou

Plombières-les-Bains, Grand Hôtel, neuf heures du soir

Chéri, me voici assise pour dîner, après avoir, depuis six heures, couru partout pour trouver une chambre. Pense donc, je suis même grimpée jusqu'à l'Hôtel des Rosiers, et j'ai regardé, le coeur saignant, notre fenêtre d'autrefois. Ah ! tout était complet. Et en bas, c'est affreux et ça coûte toujours 45 ou 50 francs. Mais à présent, je suis dans le plus bel Hôtel de Plombières, et je mange une brioche divine et des fruits paradisiaques sur de la glace, et "avec ça", une pleine assiettée de cette pâtisserie "maison", qui représente pour moi la félicité, et l'orpheline se croit dans un rêve ou dans un film. Il y a même un Pope roumain, avec une lourde chaîne d'or, un haut bonnet, une soutane neuve flottante doublée de violet. Et j'ai une chambre qui est la plus belle de la dépendance de l'hôtel, sur la colline boisée de pins. Rien ne manque, que toi. Étant donné que cet un vrai "Hôtel à 4 étoiles" doublement souligné, et grâce à lettre de "l'Intran", j'ai obtenu que le prix soit abaissé à 50 francs par jour. C'est beaucoup pour nous et peu pour ce palace. Mais quand tu seras ici, ce sera moins cher, puisque tu dormiras avec moi dans mon grand lit. Ah ! Si tu pouvais bientôt partager avec moi ma nourriture, mon lit, et mon coeur !

                                                               Ta Zouzou

lettre de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 11 juillet 1933   MST p.113/114

Plombières-les-Bains,

Mardi après-midi

            Petit coeur, je ne trouve toujours pas pourquoi le bon Dieu est triste. Mais c'est que je suis si fatiguée. Le "Stieffel" qui dirige ma cure (collaborateur de Geiger chez Bensaude et à Saint Antoine) m'a prescrit un bon traitement.

Mais les bains coûtent cher, ici. J'ai payé aujourd'hui 30 francs à la caisse et c'est ce que j'aurais dû payer tous les jours, si l'administrateur, un-ex collègue (journaliste) ne m'avait fait obtenir la réduction énorme et extrêmement rare de 50 %, ce que n'espéraient pas mon médecin et mon hôtelier, qui disaient que mes demandes de réduction serait assez vaines, parce que Plombières appartient à l'État. Il n'empêche que la carte d'entrée pour les Thermes et les Sources coûtent, chaque fois 25 francs, le cataplasme 15 francs et un médicament qu'on m'a prescrit 25 francs, si bien que je tremble pour ma fortune. Mais je me réjouis que les 300 francs économisés compensent la cherté relative de l'hôtel.

J'espère recevoir demain une lettre de toi, contenant un bulletin "tout à fait en bonne santé".

            Je rêve que tu viendras et que je t'aimerai au son de la harpe et des chants d'oiseaux. Car une dame a apporté sa harpe, en-dessous de moi, dans la petite villa, sur la colline où j'habite, et c'est le plus joli bruit qu'on puisse imaginer, un bruit enfin qui n'est pas négatif, mais positif.

            Je suis un peu préoccupée à ton sujet, mince visage de petit garçon, manges-tu bien, dors-tu bien, te ménages-tu un peu, pour ne pas retomber dans cet état de faiblesse d'il y a deux ans ? Si seulement on pouvait déjà se voir à distance !

            Merci de m'avoir renvoyée ici et sens mes lèvres longtemps, longtemps, sur ta main.

                                                               Ta Zouzou

du 12 juillet au 7 août 1933 Paula Ludwig est à Paris pour la sortie de Lucifer Vieillissant)

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Plombières du 12 juillet 1933  MST p.114/115

Paris, 12 juillet 1933

Chère Zouzou,

            Comme je me réjouis que tu sois bien logée et que tu aies eu le courage d'aller au Grand Hôtel : truites, pâtisseries au beurre, harpistes, popes roumains, bois de sapins : si tout cela ne console pas l'orpheline ! Si tout cela n'inspire pas, pour le moins, à la poétesse devenue muette, quelques pages de journal intime - ou des lettres, où elle raconterait un peu plus d'elle-même.

            Ta cure sera, il est vrai, fatigante, mais tu seras spirituellement libérée et cesseras d'être lasse, et je me promets d'avoir avec toi des jours de travail actif ! Ton petit visage d'orpheline et ton âme en deuil devraient reprendre des forces dans la paix consciente et reposée de ce paysage vosgien. Oui ?

            En ce qui me concerne, tout va bien de nouveau. La grippe est déjà oubliée. Mais je dors beaucoup, car je me sens encore très fatigué.

Hier, Mihalovici est venu me voir, il a été ravi de la "Genèse", et il a trouvé très juste que le bon Dieu soit triste. Il a promis de mettre cela en musique avant son départ.

La pomme mûre est revenue, rôtie, de Belgique. Elle trouve Coq-sur-Mer très beau et bon marché. Einstein relativement gentil. Il aimera peut-être aller aussi là-bas, plus tard. Mais, pour l'instant, il ne peut pas en être question, car il doit faire des études préliminaires à la bibliothèque de Vincennes, pendant 2 ou 3 semaines. En même temps, il me dicte, le soir, les prémices de ce qu'il a récolté dans les journaux. Hier soir j'ai été à la N R F  et j'ai porté à Malraux la table des matières et l'anthologie des écrivains "brûlés", 25 grands noms, qui ont fait bonne impression sur lui (et aussi sur moi). Peut-être cela réussira-t-il tout de même, et là aussi, il rentrera peut-être un peu d'argent.

D'ailleurs, Malraux a été spécialement gentil.

J'ai vu aussi Guéguen. Il viendra, un de ces après-midi, sur notre balcon. Nous politiserons alors ensemble. Edwige a bien lavé, hier. Demain elle repassera. Elle vient tous les 2 jours.

Je t'envoie 2 livres. Nemikowski et Döblin : Alexanderplatz. Pour le dernier, tu pourrais envoyer à Clara Malraux une gentille carte postale.

J'espère que ces livres t’inspireront pour ton travail.

Ci-joint 3 lettres : tu peux prier la Société Générale, par lettre, de t'envoyer l'argent à Plombières par la Poste.

Avec ces mains que tu as baisées

je te bénis

Ivan

lettre de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 14 juillet 1933   MST p.116

Le Grand Hôtel

(ex Napoléon)

Plombières Vosges                                                    14 juillet

Jour national de pluie

Sois rassuré, chéri, au sujet de ton bulletin de santé.

La "Création" est une oeuvre ravissante et Mihalovici pourrait composer là-dessus des choses merveilleuses. Oui, mais le peut-il ?

Encore quelques-uns de ces nouveaux poèmes et tu auras un volume, qui te rapportera beaucoup d'amour. Quelque chose de  " gollien ", et non les boutons de la 7e " Hose" (°).

Comme c'est gentil de m'avoir envoyé ces livres ! Je t'en suis très reconnaissante.

Journal intime ! Imagine-toi que mon serveur (garçon) écrit, lui aussi, un journal intime, et un chevalier d'industrie italien m'a raconté qu'il a écrit un roman sur sa fille. Bientôt, les gens "bien" n'écriront plus rien. Par ailleurs, je suis tellement fatiguée par la cure que je tombe comme du plomb, le matin et l'après-midi, sur mon lit. Hier, j'avais même de la fièvre et j'ai passé une nuit agitée, asthmatique.

Il pleut beaucoup. Mais je suis tout aussi triste quand le soleil brille. Ma meilleure compagnie, ce sont quelques hautes onagres jaunes, des cerisiers sauvages et des buissons de roses. Tout cela pousse non loin de l'hôtel, en dehors du village, sur une colline vosgienne très authentique.  La harpiste - une déception. Une dame hautaine qui ne sait jouer que quelques gammes. Mais celles-ci sonnent sur cet instrument avec une beauté supra terrestre. Et cette harpe se dresse là comme monument, grande, majestueuse.

Malheureusement, trois enfants ont emménagé hier et ils s’ébattent bruyamment dans le jardin, sous ma fenêtre. Peut-être m'enfuirai-je ailleurs. Pour me sentir libre et ne pas être liée à cet hôtel, je voudrais te demander de m'envoyer par la poste 600 francs.

Cela fera lundi sept jours à 60 francs, plus de 10 % de service.

Si seulement tu mangeais bien ! Quand je pense à toi, il arrive que je ne puisse plus avaler mes repas.

Si tu étais ici et si nous faisions notre cuisine ! Il y a beaucoup de jolies chambres avec des cuisines, comme ce serait bon marché ! Mais tu n'es pas ici. En revanche je suis en pensée près de toi

Ta Zouzou

Puis-je te demander encore deux choses : m'envoyez 2 blocs de Goy-Laffitte et un numéro de l'Intran : "J'ai mendié", la première partie. Cela se trouve dans le secrétaire Biedermeier, quand on lève le pupitre à glissière. Merci.

(°) Jeu de mot intraduisible : Une plaquette de vers d’Ivan Goll s’intitulait « Die siebente Rose » ( la septième Rose) Hose (pantalon) rime avec Rose

lettre de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 15 juillet 1933   MST p.117

Le Grand Hôtel

(ex Napoléon)

Plombières Vosges

Samedi 15 juillet 33

8 heures du soir

Chéri,

Tout à l'heure j'ai passé une heure avec toi, dehors, avec les molènes. J'étais assise là, recueillie devant la vallée et je pleurais, songeant que moi, petite chose, il m'était permis de ressentir tout cela : le ciel rose du soir et les hirondelles, les cerisiers sauvages et les buisson de roses, les pavots de toutes les couleurs, mêlés aux orties passionnées. Mais surtout, par dessus la colline et les sapins bleus, notre chambre avec l'amour d'autrefois, impérissable. Oh ! comme je t'aimais dans tout cela, rétrospectivement et par anticipation. Tellement une avec toi et avec Dieu. Une fois encore. Il m'a tendu la main, à nouveau, après tant de temps.

Et c'est pourquoi je te raconte tout de suite, car tu es Son poète.

Laisse et les soucis et les Clauzel. ! A eux appartiennent le temps et le loyer mais à nous  l’éternité sans limites.

                        Ta Zouzou

lettre de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 16 juillet 1933   MST p.117/118/119

Le Grand Hôtel

(ex Napoléon)

Plombières Vosges             

16  7. 33

dimanche matin

Chéri, reçu tout à l'heure ta lettre. Je me réjouis beaucoup de te revoir. On dira à tes parents qu’on me fait ici un prix spécial comme journaliste, parce que j'ai promis d'écrire sur Plombières dans l’Intran (40 francs par exemple) mais que eux ne peuvent profiter de ces conditions de faveur ; aussi vais-je leur chercher une chambre dans un autre hôtel. Tu pourras dormir avec moi gratuitement, je pense ; éventuellement, je prendrai mes repas avec vous et je ferai déduire ici mes repas. J'en parlerai plus tard au directeur.

Je ne pourrais déménager qu’après avoir reçu les fonds et  je ne saurais où aller. Je t'avais parlé d'une chambre dans l'autre hôtel mais entre-temps, elle a été occupée, et d'ailleurs, je n'aurais pas beaucoup aimé aller là-bas. Un silence complet s'est refait aux alentours de ma chambre. Les enfants sont logés dans une autre aile de la villa et ils jouent dans le jardinet de l'autre façade.

Mais la plus grande objection que j'ai  à faire à un changement, c'est la situation idéale de cette villa. En face des Thermes. Après la cure terriblement fatigante, je n'ai qu'à monter un escalier et qu'à me jeter sur mon lit. Dans l'état d'épuisement où je suis momentanément, c'est un avantage que tu ne peux pas te représenter.

Faire mes malles et déménager, cela m'enlèverait une partie du bénéfice de la cure, il est maintenant trop tard pour cela. Simplement, nous tiendrons tes parents éloignés du Grand Hôtel, c'est la meilleure solution. De plus, le mieux sera que je ne mange qu'à midi avec vous, et que j'aille prendre le dîner au Grand Hôtel à neuf heures du soir. Ici on mange très tard, tandis que les autres hôtels servent à 7 heures. Je pourrai donc être avec vous tous les après-midi, jusqu'à neuf heures, et cela suffit.

Ils pourront voir ma chambre et s'y tenir tout le temps ; elle est démodée et sans aucun luxe, et ils croiront facilement que c'est une chambre bon marché.

Ce n'est pas le luxe et qui m’importe, c'est la tranquillité. Si j'avais, les premiers jours trouvé une chambre d’angle comme celle ici, à l'étage supérieur, ailleurs,  je m'y serais certainement transportée pour économiser de l'argent. Mais c'était toujours de telles chambres que je savais, d'avance n’y pouvoir rester trois jours.

Écris-moi combien devra coûter la chambre pour les tiens, avec la pension, et combien de jours ils resteront

Je partage, chéri, beaucoup plus que tu ne crois, tes soucis d’eau et de gaz, y compris l’eau minérale de la cure. Car sous ce rapport j'ai le sang encore plus lourd que toi, et je me fais vraiment des cheveux gris : ce n'est pas une façon de parler.

Adieu, et bien que je te cause tous ces tracas, aime-moi un peu

                                                           Ta Zouzou

Le docteur Stieffel, un assistant de Bensaude (comme Geiger) est remarquable. Il change ma cure tous les quatre ou cinq jours pour ne pas me fatiguer exagérément, étant donné que je fais Luxeuil en même temps que Plombières mais l'eau contient beaucoup de radium, ce qui cause cette faiblesse.

2h½ de l'après-midi.

Chéri, après un déjeuner paradisiaque, avec poulet et tarte aux fruits "maison". (le garçon qui me sert m'en donne toujours une double portion : c’est un sentimental, qui écrit son journal), - j'en reviens, encore une fois, à cette affaire de visite. Ce matin encore, j'ai consciencieusement cherché partout une chambre. Mais vainement. Je reste donc, avec d'autant plus de joie, dans la mienne. J'ai également parlé, tout à l’heure, avec le propriétaire. Tu pourras dormir gratuitement dans mon lit et manger où tu voudras. Pour tes parents, il y a de bonnes chambres avec pension à 40 francs dans les autres hôtels. Cela va-t-il ? Moins cher, il n'y a rien de convenable. En outre, l'hôtelier me fera très volontiers un double fictif de ma facture, pour que tes parents voient que je paie, moi aussi, 40 francs.

carte de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 18 juillet 1933   MST p.119

Plombières-les-Bains, 18,7,1933

Chéri,

Je suis triste. Tu ne m'as pas écrit hier, aussi n'ai-je rien reçu aujourd'hui. Tu m'as oublié aussi bien que la petite plante pendante sur notre balcon. Je me suis réveillée, ce matin, avec une grande angoisse pour elle.

Maintenant, c'est l'heure des onagres. Quel beau soir et comme je souhaite que tu puisses t'adonner au paysage et à l’air  avec ta sauvagerie si particulière.

Je t'aime beaucoup. J'espère que tu ne me seras pas, de nouveau, complètement volé.

                                                           Ta Zouzou

Surtout par, encore une fois, par la femme de Saint-Exupéry !

lettre de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 20 juillet 1933   MST p.119/120

jeudi matin

Chéri,

           "Belle", ma lettre ? Ne s'agit-il pas plutôt de sa chaleur ? Je veux t'approcher de près, mais non faire de la littérature. Mais tu restes lointain ; à peine un écho me parvient-il ; je ne veux donc plus insister sur mes sentiments.

            Il fait maintenant un temps merveilleux, quelle misère que Paris te retienne. Pour l'an prochain, j'ai trouvé une solitude paradisiaque  pour nous dans ma ferme : on entre dans "l'appartement" par la grange à foin. Un peu notre "Zabern" d'autrefois, notre idylle alsacienne. Coût : zéro

L'argent, demander de l'argent, c'est ma plus grande de torture.

Si l'arrivée de tes parents n'étaient pas à l'horizon des Vosges, je serais partie et rentrée, hier, avec l'argent, et nous n'aurions plus ce souci. Quand il est arrivé, j'avais déjà pris mon billet de bain aux Thermes, à crédit. Il me reste donc 100 francs sur les 600, j'espère m’en tirer avec cela jusqu'à la semaine prochaine. Si seulement je n'étais pas obligée de laisser 30 francs à la caisse de tous les deux jours !

Cet idiot de médecin qui me prescrit des médicaments que je n'achète d'ailleurs pas. Si je gagnais quelque chose ! Je travaille bien, mais à quoi cela sert-il, pour le moment ?

Ah ! Il y en a tant qui sont plus malheureux que nous. Soyons reconnaissants et baisons les pieds de Dieu.

                        En amour

            Ta Zouzou, qui se réjouit de te revoir.

(Que devient ton travail ?)

lettre de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 21 juillet 1933   MST p.120/121

Le Grand Hôtel

(ex Napoléon)

Plombières Vosges    

Vendredi matin

1933

Chéri,

Attention ! La photo est dans cette lettre. J'en avais une, par hasard, dans mon porte-cartes. J'espère que tout ira bien.

Dufour m'a écrit qu'il a un appartement ravissant : 1.400 francs pour la saison. Tu parles ! Et s'il doit me réserver la place de la "mendiante officielle" à l'entrée de l'établissement. ? (*)

Reçu tout à l'heure une carte de tes parents. Ils viendront donc ici mercredi matin à onze heures, de Vittel, en autocar. Comme je me réjouis de te revoir ! et comme ce climat magnifique te fera du bien ! Tu en a tellement besoin !

On ne porte pas ici des tenues de golf. Prends ton bon complet gris clair et peut-être un pantalon de flanelle avec une chemise de sport, pour les excursions. Tes souliers blancs et jaunes, et tes bottes de marche. Le soir, il fait frais et la pelisse m’est très utile. Je regrette même de ne pas avoir emporté la grande de couverture. Pour toi, ton imperméable suffit. Apporte un peu de café moulu. Je n'ai plus de Sanka et ne suis pas assez riche pour m'en acheter. Apporte un exemplaire du " Crime en province".

Et maintenant, dois-je louer une chambre pour tes parents ? Comme je te l'ai dit, c'est 40 francs par personne.

Reçois un long baiser comme acompte,

En tout amour

Ta Zouzou

26 et 27 juillet Yvan et ses parents vont ensemble à Plombières-les-Bains

carte d'Ivan Goll Plombières à Paula Ludwig Paris autour du 26 juillet 1933 ImsL  p. 177

Chère Palu                                                                

Que dis-tu de cette concurrence qui est célèbre dans toutes les Vosges ? Cela ne pourrait-il pas devenir intéressant d'entreprendre une course avec une telle maîtresse ?

                                                                                                                      I

carte d'Ivan Goll Plombières à Paula Ludwig Paris du 26 juillet 1933 ImsL p. 177

Bien que je sois totalement fasciné par le regard des résidents, je reviens demain jeudi soir vers mon chef de tribu. Arrive à destination aux environs de 11¾ : autour de minuit, je suis alors dans tes bras

                                     I

lettre de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 28 juillet 1933   MST p.121

Plombières, 28,7,1933

vendredi matin

Mon grand petit garçon,

              Hier soir, après le dîner, je suis encore retournée à la gare, mais rien n'y restait plus de notre adieu. Je n'en ai pas à retrouvé une miette sur le quai, ils ne m'avait laissé que le billet de quai, en guise de pièce à conviction pour me persuader d'un éternel abandon au bord des voies, d'une inguérissable solitude.

              Ce matin je t'ai déjà rendu visite, tu dormais profondément et ta chevelure de petit garçon, hirsute et sauvage, te pendait méchamant dans les yeux. Le jour se démenait déjà pour entrer et tu ne pouvais déjà plus rien faire de moi. Ne te surmène surtout pas trop, tu sais que nous sommes dans une courbe ascendante et qu'en conséquence, nous n'avons rien que de positif à attendre, en ce qui concerne les événements extérieurs. C'est ainsi que j'ai reçu aujourd'hui même une réponse très aimable de Szofranski  (de  la "Dame"), qui équivaut peut-être à une proposition. De toute manière, je ne veux pas concevoir trop d'espérance, car mon nom est Goll et mon mari a brûlé sur le bûcher,et les Hindoues" ariennes ", elles aussi, avaient l'habitude de suivre leur mari dans l'autodafé.

              S'il te plaît, signe tout de suite la lettre ci-jointe et envoie-la par le prochain courrier.

              Et abonne les Vionnet pour mardi et si tes occupations te laissent un temps de répit pour cela, aime un peu.

                                   celle qui t'embrasse tendrement 

                                                                       Suzu

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Plombières du 28 juillet 1933  MST p.122/123

                                                                                  Paris

                                                                                  Vendredi soir... [28 juillet 1933]

Chère Zouzou,

            Dès huit heures du matin, Apfel a sonné à ma porte et ne m'a plus lâché. Je dus me rendra à son hôtel à 10 heures et demie. Il tenait à la main un papier sur lequel il avait noté tout ce dont il voulait parler avec moi : il commença à majuscule A et ne s'arrêta qu'à M.

            L'affaire du film avec Pabst semble marcher, car il va demains le porter à Einstein en passant par Coq-sur-mer. Puis, douze choses sur notre livre. Et ensuite nous avons été voir Joisson, qui a travaillé très mollement jusqu'à présent.

            Bref, je ne parviendrais pas à t'écrire avant ce soir, tard, pour te redire combien ces journées avec toi ont été rafraîchissantes : un bain dans les eaux claires de tes yeux, et dans le vert des Vosges. Et se rendre compte qu'un être humain peut avoir une âme si délicate, si prête à la souffrance, si vraiment humaine, et un amour si inextinguible !

            Par ailleurs, la dernière heure entre Plombières et Aillevillers a été très agitée : d'abord, j'obtins encore de ma mère 300 francs, qui représentent tout ma réserve pour les prochains jours. Ensuite, nous avons bu de la bière au buffet d'Aillevillers tout en conversant de telle sorte que je dus bondir de ma chaise, une minute seulement avant le départ du train, qui se trouvait trois voies plus loin ! En courant, j'arrivai tout juste pour y sauter, sans avoir pu prendre réellement congé de mes parents, qui criaillaient derrière.

Mais représente-toi ces heures épouvantables, de 6 à 10 heures du soir, dans ce désert le d'Aillevillers, au pouvoir de mes parents, si j'avais manqué le train ! Indescriptible.

            Dans le train, j'ai terminé les corrections.

            Et aujourd'hui, il pleut ici ; il pleut d'une façon céleste sur le balcon embaumé, sur l'acacia qui se secoue et sur la plante pendante, que j'ai posée sur la terrasse.

            Tout s'équipe pour ton retour.

            Mardi matin, la Vionnet doit venir et à faire cuire un bon bouillon de légumes.

            Tu pars à 2 heures 40 et tu arrives à 8 heures 30.

            Jusque-là, je n'écrirai plus.

            À la gare, je te prendrai au piège dans mes bras.

                                                                       Ton

                                                                                  Ivan

La lettre pour Munich est partie.

Carte de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 30 juillet 1933   MST p.123

                                                                                  Dimanche

                       [30.7.1933]                

[Plombières-les-Bains]

Petit coeur,

Merci pour la lettre. Pourvu que tu ne te laisses pas mettre de côté par Pabst. Est-ce que Apfel maintenant après Einstein  va t’emmener enfin chez lui ?

Je me réjouis tant en pensant au prochain mardi, à toi, au balcon, au bouillon de légumes et aux légumes cuits à la maison

                                   Amoureusement

                                                           Ta Zouzou

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Paris du 30 juillet 1933 ImsL p. 177

                                                                       30 juillet 33

                                                                       Rue Alain Chartier

                                                                       [Studio Hôtel, 25 rue Alain Chartier, Paris 15]

Mit dem Blatt des Aneth

Hab ich meine Hüften eingerieben

Dass die Herden deiner schwartzen Lämmer

Und  die Herden deinerweissen Traüme

Sich nicht irren auf dem Weg zu mir

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin  7 août 1933 ImsL p.194/195

Chère Palu                                                                

Je souhaite à Friedel un très bon anniversaire. Je me souviens qu'il y a un an, nous allions le chercher à Garmisch ! Ah ! …Je veux bien lui faire goûter un nouveau café glacé !

Merci pour la rose rouge de ton arrivée !

Mais pourquoi un si long silence depuis ce temps-là ?  J'étais allé de nombreux jours en vain à la Poste. Et j'aurais bien aimé savoir comment allait Gisèle, comment va le béret basque, si vous nagez beaucoup ?

Chaque fois que le thermomètre monte, je me fais beaucoup de remords parce que tu n'es plus avec moi dans la petite chambre  brune ombragée et avec la Tour Eiffel  dans le ciel dessinait …mon profil !

à traduire

O, je suis triste

                                   Ton

                                               I

En passant sur la route des seigneurs

Tu ne regardes pas le safran pauvre

Mais ton manteau le caresse en secret

Emportant tout de même

Un peu de poussière dorée

De son amour

7 août 1933

Jardin des Plantes

Je ne voudrais être

Que le cèdre devant ta maison

Qu'une branche du cèdre

Qu'une feuille de la branche

Qu'une ombre de la feuille

Que la fraîcheur de l'ombre

Qui caresse ta tempe

Pendant une seconde

9 août 1933

Jardin des Plantes

Lettre de Claire à Haybes à Ivan Goll à Paris 9 août 1933   MST p.123/124/125

                                                                       Château de Moraypré, Haybes

                                                                       mercredi matin          

                                                                       [9 août 33]

Aimé,

            Je crois m'être réveillée dans un rêve. Du lit où je suis couchée, je vois par deux grandes fenêtres, à travers deux acacias, un large fleuve qui coule doucement, la Meuse, derrière laquelle s'ouvrent de grandes prairies où je vois des vaches tachées de noir et de blanc engraisser de minute en minute. Derrière, un peu plus haut, un train passe toutes les demi-heures, allant et venant entre la Belgique et la France, si petit qu'il semble sortir d'une boite à bijoux. Et, derrière tout cela, montent les forêts des Ardennes. Oui, depuis hier seulement, je sais ce que sont les forêts. Quel pays magnifique, et si frais ! Hier soir, dans le parc du château où j'étais étendue, mon manteau de fourrure et ma couverture de fourrure m'ont manqué.

            La carte que je t'ai laissée rend très imparfaitement la grandeur et la beauté de ce château.

            Au premier étage, il y a une sorte de fenêtre en saillie : c'est là, à l'intérieur que je suis couchée et que je t'écris. A côté, se trouvent ma chambre et ma salle de bains. Tu vois : presque toute la façade m'appartient. La chambre voisine est celle de Madame d'E. [Baronne Catoir d'Epstein], et sa salle de bains est à l'angle, aussi grande que tout notre appartement de Paris. Puis, il y a la salle de bains d'une des invitées, une Belge, et celle-la est aussi vaste qu'une salle de danse.

            Dans ma salle de bains, outre le lavabo, le water, le bidet à eau froide et chaude, il y a un système de douche dans une sorte cabine, et je me suis mise dessous avec une sorte de volupté. Chaude, naturellement. Et maintenant, viens avec moi devant la maison. Là, t'attendent des bouquets de roses et de pois de senteur, avec d'autres fleurs dont je ne connais pas les noms, et quand on a passé devant une grotte ravissante, on arrive à la piscine, toute entourée de vieux arbres merveilleux et de petits ruisseaux. Ah ! une piscine ! comme je maudis ma mauvaise santé ; il y a quinze ans, j'y aurais nagé du matin au soir. En revanche, hier soir, je suis passée devant deux vieux moulins, j'ai franchi un pont et je suis arrivée à un étang baigné de lune. C'est ici que Mélisande a dû perdre sa couronne; et derrière l'étang, des forêts à l'infini escaladant des hauteurs. Et jamais aucun être humain n'a accès à tout ceci, car cela appartient au château. Sans parler de la mare aux canards, des poules et des agneaux de la ferme. Vraiment un rêve !

             Et l'hôtesse est si bienveillante et toujours  grande dame, et elle doit avoir été autrefois très belle. On comprend le roi des Belges, dont elle fût, comme elle me l'a racontée (il y a cent ans), la maîtresse.

            Des bateaux montent et descendent le fleuve et leurs sirènes crient de loin pour qu'on leur ouvre les écluses, un peu plus bas. Et le long du fleuve court un chemin de halage réservé aux chevaux qui tirent les bateaux.

            C'est aussi dans ce château qu'habita jadis George Sand ; elle a laissé aux parents de la baronne d'E. une photo dédicacée, que les hordes allemandes ont volée, lors de leur invasion en 1914. Et sur le parquet de la chambre d'où je t'écris, on voit partout des marques de baïonnettes ; car, ici aussi, ils ont  assassiné 40 femmes du château  qu'ils avaient prises en otage pendant qu'ils incendiaient et pillaient complètement Haybes. C'est pourquoi la baronne n'apprécie guère de parler allemand.

            Si seulement, je pouvais t'envoyer un peu de fraîcheur, mon petit garçon chéri, et faire surgir dans la rue Jasmin un petit bout de paysage ! Hier, pendant que je traversais ces forêts, quel chagrin j'éprouvais de te savoir dans la chaleur de Paris !

            Toi, mon aimé, pars bien vite retrouver Einstein et ne te détruis plus en restant à Paname.

Envoie-moi des nouvelles du Marché aux fleurs et du film, mange bien, ne fais pas de bicyclette ou pas trop, et pense de temps en temps à celle qui t'embrasse tendrement

                                                                                  Suzu

N'oublie pas l'article !

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du 10 août 1933 MST p.125/126

                                                                                              Paris XVI

                                                                                              10 août 33

      Quelle lettre merveilleusement belle, embaumée de l'odeur des forêts, et enfin heureuse ! Comme je me réjouis que tu aies enfin trouvé un petit coin où la bonté d'une femme, le silence des êtres humains et la dévotion à la nature t'aident à te reposer en toi-même. Il fallait que tu trouves ce château, pourront redevenir  Mélusine, pour éprouver le renouveau de ton propre ensorcellement. J'espère qu'il ne surviendra rien pour t'effrayer et te chasser de toi-même à nouveau : un moustique ou une personne méchante ! Et que devient le corps ?

            Reçois de moi la plus apaisante des nouvelles : cet après-midi, j'ai fait de la confiture de reine-claude ! Elles étaient tellement bon marché : 90 centimes la livre. Je l'ai faite tout seul. Ce matin j'avais fait laver les pots de verre par Marie.

            Car il fallait que j'aille en ville, au Marché aux fleurs, où tout a marché magnifiquement. Nous avons à présent la tranquillité pour de longues années. Ci-joint, une photo de ces jours-ci.

            À midi, j'étais invité à déjeuner par Apfel, dans à très bon restaurant. Mais ce n'était qu'une façon de me rendre la politesse que je lui avais faite en lui offrant hier soir à dîner : oeufs à la tomate, courgettes, maquereaux, melon. Il était enthousiasmé. Et il m'a raconté, d'une façon ravissante, notre prochain chapitre.

            Mais ce méchant veut me retenir ici. J'en suis très malheureux. Il fait honteusement chaud et lourd en ville, le ciel reste impudemment bleu et je voudrais, je devrais partir. Sinon, que sera cet hiver !

            J'espère pouvoir m'échapper dimanche, - aller à Coq-sur-mer. Mais naturellement, il ne débourse pas d'argent.

            Le film n'est pas tout à fait satisfaisant. Et puis d'autres sont déjà sur ce projet : Les Kortner - Lania ont déjà traité presque le même sujet.

            Et maintenant, il faut que je connaisse tes plans ! Plus longtemps tu pourras rester, mieux cela vaudra pour ta santé. Si tu as besoin d'argent, je t'en ferai envoyer de Zurich : je veux dire, pour le voyage à Challes. Mais d'ici là, nous nous écrirons encore.

            Ce qui me pousse en outre à partir, cette aussi la feuille ci-jointe de Marie. Elle aussi sera absente jusqu'au mois de septembre. Afin que tu le saches, quand tu rentreras.

            Mais je ne partirai peut être toi, ou seulement pour cinq ou six jours. Tout cela, c'est encore des projets en l'air.

            Le principal, c'est que tu marches, que tu te couches sur une terre qui te plaît, et que tu y rêves, entre autres choses, de ton fidèle

                                                                                  Ivan

Les Daniel sont depuis mardi à Ostende [ses parents : Daniel et Rebecca Kahn]

Quand tu auras tout pris de moi

La peau de ma chair

La chair de mes côtes

Le ciel de mes yeux

Les yeux de ma tête

Quand je ne serai plus qu'un souffle

Pour prononcer ton nom

Alors je saisirai peut-être

Combien je t'appartiens

Auteuil

12 août 1933

lettre de Claire à Haybes/ Meuse à Ivan Goll à Paris 14 août 1933 ***  MST p.127/128

                                                                       Château de Moraypré, Haybes

                                                                       [lundi 14 août 33]

           St. Ivannet, mon pauvre martyr aux doux yeux bruns, rôti au soleil d'août à Paris ! Saint Yvan devant le photomaton. Ah ! toi, pourquoi dois-je être seule à respirer le bon air pendant que tu n'avales rien que des microbes ! Mais la récompense viendra pour toi, cette année t'est propice, petit cœur. Je crois en ton étoile. Et quand je la vois d'ici, le soir, je la caresse des yeux. La nuit, quand il fait si glacial que je tremble sous mes nombreuses couvertures, ton étoile me réchauffe. Encore un peu de patience  Moi aussi, j'en ai tant, car je souffre toujours, mon intestin ne va pas du tout et néanmoins mon âme plane par-dessus l'étang, légère et libre. Si torturé qu'on puisse être, la vie est pourtant belle. Et la source près de laquelle je suis étendue, si pleine de fer, toute brun-rouille, tout un symbole.

            Selon l'effet qu'aura la lune sur mon sang, je prolongerai mon séjour ici, ou je l'abrégerai. Mais attendre ici ces jours, c'est bien le mieux, non ? Mon chéri à moi, qui ne mange pas bien ? Toi ? Qui ne dort pas assez ? Sûrement toi. J'espère que la mer t'a un peu calmé. Avant-hier, il y avait ici des relations de la Baronne, venue d'autres propriétés : Province. Entre autres, une veuve sortie de "Mathusalem".  Nous avons essayé de faire tourner une table. La veuve s'appelle Thibaud. Tout à coup, elle demande à l'esprit de la table : « C'est toi, Thibaud ?» La table répond : « Oui ». Elle : « Combien de messes veux-tu que je fasse dire pour toi ?» La table : « Trente ». La veuve, extrêmement avare essaya de marchander avec l'esprit. Je mourais de rire.

            Les photos sont très amusantes et pleines de drôlerie. Daniel est vraiment un personnage.

            Si tu veux être gentil, envoie-moi  100 Francs, on a tout de même besoin ici de quelques petites choses.

            Et merci pour tout, et beaucoup d'amour et de tendresse de

                                                                       Ta Suzu

Lettre de Claire à Haybes/ Meuse à Ivan Goll à Paris 15 août 1933 ***  MST p.127/128

                                                                       Château de Moraypré, Haybes

                                                                       Mardi 15 août 33

Yvetot,

            Les cloches sonnent ce jour de fête. Les gens vont à l'église et je viens à toi.

Car tu es bien saint par quelque côté, quoique je l'aie contesté par instants. Malgré tout, tu restes ma seule foi. Quoi qu'il ait pu arriver, tu restes le véritable amant de mon cœur, toi, mon frère et mon mari ; à cela, nul homme et nulle femme ne pourront jamais rien changer.

            Il fait un temps brumeux, et mon malheureux corps tente à nouveau de me jouer des tours de toute espèce. Je suis terriblement fâchée contre lui. Qu'un matériau aussi mauvais puisse renfermer une âme forte et résistante !

            Chéri, pourvu que tu aies eu beau temps au bord de la mer ! Je ne suis pas tout à fait innocente du changement de temps, car j'ai souhaité la pluie. Car on ne peut travailler ou se concentrer sur soi-même, que quand il fait gris dehors.

            Je t'aime beaucoup, Ivetot, et je suis ton plus grand admirateur, et cela, tu ne dois jamais l'oublier. Je t'embrasse tendrement, je te remercie d'exister et d'exister pour moi.

                                                           Ta Suzu

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du 16 août 1933 MST p.128/129

Paris, 16 août 1933

Chère Susu,

            Hier soir, je suis revenu du bord de la mer, consolé secrètement par la pluie. Sinon, je l'aurais été difficilement. Ce furent trois journées fortifiantes. Je me suis beaucoup baigné et je suis parvenu tout de même à me faire brûler cruellement par le soleil à travers les nuages en marche. C'est-à-dire que j'ai les bras et les pieds non pas bruns, mais rouges, et il me cuisent. Un bon souvenir.

            Je suis bien portant - et néanmoins, mon âme est si triste, si triste. Plus le temps s'écoule, plus je me sens seul. Est-ce que les hommes sont toujours seuls ? Nous deux, quand nous sommes ensemble, nous ne l'éprouvons jamais : les couleurs du jour et la fatigue... des nuits nous procurent cet état chloroformées. Ou est-ce l'état de communauté qui rend heureux ?

            Là-bas, il y avait tant de jeunesse blonde, souriante, consciente d'elle. Et je sentais que je n'en faisais pas partie. Et il y avait des familles satisfaites, repues, et je sentais que je n'en faisais pas partie. Toutes les portes de la ville étaient ouvertes, et je n'entrais par aucune.

            Mais pourquoi ne fais-je plus de.poésie ?

            Cependant, toi, la plus malheureuse, tu es encore bien plus à plaindre. Il est  incompréhensible que tu aies été accablée ainsi de maux, juste après Plombières. Comme tu es courageuse de supporter cela avec tant de patience ! Je voudrais les enlever de toi, ces maux, te revoir riante et forte.

            Soyons donc reconnaissants au destin qui t'a conduite dans un tel château de Mélusine, autour duquel les sources chantent leurs mélodies et dans lequel les gens semblent bien te soigner. Oui, puisqu'il en est ainsi, je te conseille de passer là-bas tes jours de fatigue.

            J'ai trouvé ici beaucoup de courrier, une carte de Doralies, de Berlin. Et une lettre de mes parents qui, samedi dernier, après avoir passé à peine quatre jours à Ostende, se sont enfuis de nouveau et sont retournés â Metz ! Pourquoi ? Parce que leur maison à brûlé ! Cela ne peut arriver qu'à eux ! Toute la charpente et le premier étage. Le reste inondé, naturellement. Les coupures ci-jointes avec reportages photographiques, de la "Metzer feuille de chou" te montreront  l'étendue de cette catastrophe de petite ville. À cette occasion, tu verras aussi, une fois, "notre maison". Très "seigneuriale", n'est-ce pas ? À présent, les pauvres, ils ont enfin, de nouveau, quelques soucis !

            Et maintenant encore, une surprise merveilleuse. Le livre qui doit devenir ton "Journal" est arrivé, envoyé par Brody. Avec une innovation intelligente et simple : il consiste uniquement en une couverture et un bloc. La face supérieure est disposée, à l'intérieur, de telle sorte qu'on peut y remettre les pages écrites, séparés, et refermer. Le tout est en toile à sac vert pistache. Bon goût munichois. Puisque tu vas revenir bientôt, ce serait trop compliqué de t'envoyer le tout. Mais je t'envoie au moins le bloc, sur lequel tu peux commencer tout de suite à écrire, d'autant plus que tu souhaitais la pluie et sentais probablement les approches d'une inspiration ?

            Demain je t'en reverrai les 100 francs.

            Aujourd'hui, cent baisers

                                               Et mon chaleureux amour

                                                                                              Ivan

lettre de Claire à Haybes à Ivan Goll à Paris 17 ou 18 août 1933   MST p.129/130

                                                                       Château de Moraypré

                                                                       17 ou 18 août 33

Mon Ivannot,

            Triste ? Je suis triste aussi. Et c'est un privilège et nous ne devons pas être ingrats. Sans tristesse, pas de poésie et existe-t-il quelque chose de plus noble que les larmes qu'on ne pleure pas ? Qu'importe qu'on souffre si cela nous fait pressentir plus largement Dieu et la mort !

            Famille, jeunesse ! Nous avons été tout cela, et nous le redeviendrons. "Aujourd'hui" n'est qu'une transition, puisque nous sommes immortels. Hier nous étions là et demain nous reviendrons ; entre temps, un peu de "mal du siècle", un peu de désespoir et de clair de lune avec Clairivan. Evade-toi de toi-même au contact des étoiles infinies et tu transformeras ta plainte en jouissance.

            Aujourd'hui je reste couchée, et je pourrai probablement rentrer à la maison lundi. Te télégraphierai à temps, chéri.

            Mange bien, dors beaucoup et mets en vers ta souffrance !

            Je te remercie d'avance pour l'envoi des feuilles. Tu as toujours des gestes gentils qui n'appartiennent qu'à toi, et pour lesquels on ne peut jamais cesser de t'aimer et de trembler un peu pour toi comme pour une chose très précieuse.

            Le grand feu dans la maison Lazard m'apparaît comme un petit châtiment du destin. Car tout est châtiment ou récompense. Mais cela me fait beaucoup de peine pour ta mère. J'ai de la pluie à présent, tant que j'en veux et je m'en réjouis en cause de toi.

            Maintenant sois fort pour quelques jours encore. Jette-toi dans un livre : dans ma  bibliothèque, il y a Nietzsche, Rilke, Hölderlin, et je suis dans ta chambre. Tu n'es pas seul.

            Une prière : envoie-moi par retour du courrier le numéro d'Excelsior Hôtel (ou Hôtel Excelsior), rue La Boétie, où habitait Madame Aliventi. Cet hôtel est dans la partie supérieure de la rue, vers les Champs Élysées, et tu le trouveras dans l'annuaire par rues, non dans l'alphabétique.

            Adieu chéri, je baise tes mains,

                                               Ta Suzu

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin  18 août 1933 ImsL p.198/199/200

Chère Palu                                                                

                                                           ton

                                                                       M

                                                                      

lettre de Claire à Haybes à Ivan Goll à Paris 21 août 1933   MST p.130/131

                                                                       Lundi après-midi

                                                                       [Château de Moraypré, Haybes]

                                                                       [21.8.1933]

Chéri,

Merci pour ta carte chaleureuse.  Oui, je voulais partir aujourd'hui, mais l'homme propose et … le vin rouge dispose. Mon amie Jane m'a grisée hier soir par ruse. Je devais "goûter" aux vins de sa cave, et à force de "goûter", tout à coup, c'en était fait de moi. On m'a portée au lit et j'ai dormi comme …  Verlaine. Et quand je me suis éveillée, le train de Paris filait sur l'autre rive. Aujourd'hui, j'ai la "gueule de bois", mais Jane m'a avoué sa faute et pour me dédommager, elle me fera faire demain un tour en auto. Je ne partirai donc que mercredi : mais c'est définitif. A 1 heure et je serai dans tes bras à 6 heures, les bras tendres et doux d'un long petit garçon, qui m'en voudrait sûrement beaucoup, qui m'en voudrait de l'avoir si longtemps laissé seul avec sa mélancolie, s'il n'avait pas un cœur si rare.

            Je quitte à regret cet endroit de rêve où je suis gâtée d'une façon céleste. Mais je trouve pourtant que je n'ai pas le droit d'être heureuse par trop longtemps sans toi : une joie partagée est tout de même autre chose que celle qu'on garde pour soi.

            Je baise tes chers yeux bruns et suis

                                   ton éternellement dévouée

                                                                       Suzu

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du 22 août 1933 MST p.131/132

Paris, 22 .8. 33

Chère Zouzou,

            Ta lettre d'hier est heureuse, légère, grisée par ces vins fins ! Comme je me réjouis que la vie te berce, qu'il y ait une amie Jane qui ne te laisse pas partir, et que les fleurettes du paysage te soient bienveillante ! C'est ce que j'ai toujours souhaité pour toi.

Et quand tu planes ainsi, il ne me viendrait, en aucun cas, à l'idée de te rappeler. S'il te plaît, n'interprète pas mes dernière lettre en ce sens, et ne crois pas non plus que je souhaite le moins du monde t'avoir ici, seulement parce que je traverse une cruelle période de solitude. Elle est cruelle, mais je ne la maudit pas. Tout est très beau dans la vie, tout, même l'immobilité des murs qui ne respirent pas, même l'impatience, riche en peur, de la nuit.

Ce qui est seulement terrible, c'est quand, dans toute la grande ville, il n'y a pas une seule personne à qui tu puisses téléphoner, c'est quand tu peux suivre les Boulevards pendant des kilomètres et t'asseoir à 1000 terrasses de cafés, sans qu'une main se lève pour serrer la tienne.

Mais je jouis aussi de cette souffrance. C'est que je suis un jouisseur ! et si tu savais seulement comment je vis, avec 5 francs par jour.

Je travaille maintenant très bien.

Je voudrais beaucoup être un moine. Et puis, de nouveau, par période, un libertin.

En ce qui te concerne, je ne suis heureux que lorsque tu prends du bon temps. N'est-ce pas cela, l'amour ?

Mais réfléchis un peu et si ton amour pour moi est pareil ? Ressemble-t-il au mien ?

Sur un seul point, je te gronde : iras-tu encore à Challes ? Je n'ai attendu ici que pour régler ton arrivée et ton départ. Sinon, je pourrais aussi bien être aux Indes.

                                                                       Ton

                                                                                  Ivan

            

Claire rentrée à Paris le mercredi 23 août à 18h, est repartie pour Challes le 28 août.

Je suis couverte de sept voiles          

Pour que sept fois                                                                                                    

Tu puisses me découvrir                                                                                                                                                                                        

Je suis ointe de sept huiles                                                                                                   

Pour que sept fois                                                                            

Tu puisses me sentir                                                             

                                                                                                         

Je t’ai dit sept mensonges                                                                

Pour que sept fois                                                                

Tu puisses m’anéantir                                                                                                          

Auteuil 25 août 1933

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin  28 août 1933 ImsL p.202/203

Ma grande Palu 

                                                           ton

                                                                       Yvan

Fin août Claire est de retour à Challes

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Challes-les-Eaux du 30 août 1933 MST p.132/133

                                                                       [ mercredi] Paris, 30.8.33

Chère Suzu,

            Combien m'a ému ta lettre est écrite dans le train, dont le rythme sanglotant m'arriva d'Aix  - d'ailleurs, je l'attendais un peu, ce matin, après une nuit qui ne m'a procuré, à nouveau, que quatre heures de sommeil (malgré la Passiflorine que tu m'as envoyé avec tant de sollicitude) et six heures de rêverie, ce qui est, tout de même, plus intéressant que le rêve. Il ne me déplaît pas du tout de me livrer ainsi aux eaux noires de la nuit, et de me laisser emporter, submerger.

            Puis la journée été si belle que je suis parti faire un grand tour à bicyclette, et sans l'avoir décidé tout d'abord, j'ai été jusqu'à Saint-Germain-en-Laye, ce qui fait quarante-cinq km aller et retour. Maintenant seulement, je suis entraîné et puis songer à de vraies excursions. Je ne savais plus du tout qu'elle est l'aspect de Saint-Germain-en-Laye, ou plutôt, je me souviens d'y avoir été une seule fois, avec une tournée d'autocar, et qu'il y a là-bas un pavillon Henri IV : je n'avais pas remarqué, cette fois-là, le château très beau et très sévère, le parc profond et rêveur et la terrasse longue de plusieurs kilomètres dominant l'Ile de France. Mais peut être connais-tu cela mieux que moi - tu as eu plusieurs fois l'occasion d'y aller en auto.

            Ensuite Apfel est venu chez moi. Il est pris de la folie des grandeurs littéraires, il se croit déjà un auteur important. Il devient plus difficile de travailler avec lui. De toute façon, il a été très satisfait du Chapitre Kienle. Mais il n'y a plus moyen de lui soutirer de l'argent. Avec beaucoup de ruse, il se plaint encore plus que moi, et se plaint le premier.

            Ce matin, il y a un grand brouillard sur la ville : l'automne. Vers midi, le soleil a percé les nuages - mais la nuit et la matinée étaient très fraîches.C'est pour cette raison que j'ai lu ta seconde lettre sans inquiétude, celle où tu m'apprends que tu t'es installée dans ma chambre, au Château. Les quelques heures de l'après-midi ne seront pas si terriblement chaudes. D'ailleurs, je trouve que la solution de ton séjour est très réussie, contrairement à tes regrets. Car dès que l'hôtel commencera à se vider, tu obtiendras facilement une meilleure chambre pour le même prix, à condition de jouer avec intelligence. Et c'est tout de même une bonne perspective. Aussi, quelle chance que Challes reste ouvert jusqu'au 30 : tu ne pourra d'ailleurs pas partir avant le 18 ou le 20, si les "jours rouges" arrivent entre temps. Ce que je ne parviens pas à comprendre, c'est ta peur de la famille Lévy. Incompréhensible !

            Mais aujourd'hui, tu t'es sûrement très bien habituée. Les inhalations favorisent peut-être aussi l'inspiration. Et tu as déjà commencé ton roman ? Ce serait magnifique. Où donc habite les Lévy, d'habitude ? Toujours à Alger ou à Paris ? Pourquoi n'ont-ils jamais donné signe de vie à Paris ?

            Donc, chère enfant, sois vaillante, vaillante, vaillante et continue à aimer ton

                                   Ivan, qui t'aime

À présent, Duarte vient d'arriver ; il m'apporte les séries de photos. La poste n'a apporté rien du tout.   

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire  à Challes-les-Eaux du 1 septembre 1933 MST p.133/134

                                                                                  Paris, 1er septembre 33 [ vendredi]

Chère Zouzou

            Mais on se sent triste pourtant, par ces jours qui commencent à diminuer, qui commencent par du brouillard et, ensuite, s'arrondissent et se dorent : on se sent triste, dans cet automne, de ne pas avoir été aussi un pommier d'où tombent les fruits ronds et murs, mais de s'éterniser dans une nostalgie qui n'est plus de notre époque.

            Au milieu du jour, on oublie ce que vous a chuchoté le milieu grave de la nuit... Et on se nourrit des raisins récoltés par les autres.

            Je souhaite beaucoup qu'à Challes, tu inhales une nouvelle confiance en toi-même, et que le souffre ne te guérisse pas seulement de nez, mais aussi l'âme. Et peut-être travailles-tu déjà ?

            Ci-inclus une lettre de Klaus Mann, qui accepte le "petit singe"* et qui t'apportera, en outre, un nouveau courage au travail.

Et moi : si des pommes ne tombent pas de moi, par contre, le docteur Apfel me porte sur les nerfs. Il a l'habitude de faire danser les gens au son de sa flûte, mais je préfère danser avec des tailles plus fines.

            Duarte° m'a apporté, encore une fois, des photos splendides. En outre, il ne veut recevoir aucun honoraire, il demande seulement que je lui envoie des livres de temps en temps. Le 7 septembre, il repart pour le Brésil. Mais auparavant, nous organiserons encore un dîner chez moi, et la petite femme veut préparer un menu brésilien, avec de la viande séchée brésilienne, des haricots noirs et rien que des plats indigènes, qui seront cuits dans notre cuisine. Ce sera un festin, dont tu n'aurais certainement pas le droit d'avaler une bouchée. Mais comment sont les repas, cette année au Château ?

            J'ai rencontré dans la rue Walter Menring avec sa pauvre petite mère tout chiffonnée. Dès que tu seras de retour, il faudra que nous les invitions à un repas.

            En ce qui concerne les finances, ma mère a été presque touchante : la lettre cachetée contenait 1.200 francs au lieu de 1000, et sans autre raison : peut-être pourras- tu les utiliser ! Mais hélas ! Cinq minutes plus tard, 1000 étaient chez les Clauzel et 200 à la banque, plus dix-sept dans ma poche, qui n'est plus aussi percée. (à propos, n'écris pas à Nancy que tu es à Challes).

            Joisson doit revenir lundi... J'enverrai l'argent pour ton hôtel avec deux jours de retard, mais il y en aura d'un seul coup pour deux semaines.

                                   Je t'embrasse longuement,

                                                                       Ivan

* Nouvelle de Claire

° Ministre brésilien qui avait quitté le Président Vargas

Paula Ludwig de Berlin à Ivan à Paris : lettre du  2 septembre 1933 *** IsmL p.204 à 208

correspondance à traduire (superbe lettre d'amour)

Lettre d'Ivan Paris à Claire Challes-les-Eaux du 6 septembre 1933 MST p.134 à 136 ****    

                                               Paris, 6 septembre 33

Chère Zouzou,

            Je porte partout avec moi une souffrance tellement étrange : il me semble à présent que je ne pourrai jamais devenir bien portant et une souffrance qui croît en moi comme une mauvaise plante qu'on ne pourra peut-être plus déraciner. Quand tu es là, je crois ne plus l'entendre, souvent, et je m'imagine que je vais bien. Mais ensuite je sais à nouveau que je ne peux plus être sauvé. Une telle solitude depuis quarante années...

            Et personne ne peut le remarquer. Et bien des gens qui me connaissent, me prennent au contraint, pour un enfant né coiffé, né le dimanche de Pâques à cinq heures de l'après-midi.

            Et pourtant, depuis des années je me consume et ne suis jamais joyeux. Sûrement, il y a beaucoup de raisons qui y contribuent : la foi en notre unité s'est brisée, puis la foi en  moi, en mon don de poète, et finalement aussi la foi en un avenir tranquille.

             J'ai de plus en plus la sensation d'étouffer. Je lutte pour trouver de l'air, la nuit dans ma tour, et le jour dans les rues. Comme Paris me rend misérable et solitaire !

Mais si je ne m'en vais pas du tout cet automne, si bientôt une saison commence sans moi et contre moi, abandonné, oublié, comment le supporterai-je et pourquoi ?

            En conséquence, j'ai pris une décision : je dois partir, ne fût-ce que pour deux ou trois semaines. Je n'ai rien à chercher ici. Le travail avec Apfel ne m'intéresse plus, parce qu'à présent, il écrit tout et que je ne suis plus, en somme que son traducteur. Ça, je pourrais le faire partout.

            Tu m'as dit trois ou quatre fois dans ta bonté compréhensive, que je devrais aller voir Paul Ludwig, ou encore la faire venir à Paris. Or je sais que dans les deux cas malgré tout ton courage tu en seras blessée. Il s'offre une troisième solution : elle est invitée en Italie, je pourrais la rencontrer là-bas.

            Mais je suis incapable de me décider, donne-moi donc toi impulsion, comme il y a dix jours ; tu savais alors pertinemment que cela ne te ferait rien perdre. Si seulement j'étais sûr, que tu es cette année raisonnable et que tu restes bien consciente que tu ne perds rien quand je m'enrichis !

            Encore ceci : même chez Paula Ludwig je reste indiciblement seul. J'ai seulement auprès d'elle comme d'ailleurs auprès de toi le sentiment de ne pas être totalement sans valeur pour ce monde. Ne me rappelle pas le fait qu'on ne doit rien croire de ce que vous disent ceux qui vous aiment. Car alors, il me faudrait admettre que ceux qui ne m'aiment pas ont raison de me rejeter. .

            Voilà à quoi on en arrive, quand on est un solitaire, un esseulé qui a repoussé la chaleur de la vie courante, famille, enfants, sentiment d'appartenance à une communauté. Paris...

            Je n'irais pas mieux non plus en Italie : seulement, pendant ces trois semaines, j'oublierai qui je suis... J'aurais le sentiment apaisant d'avoir tenu une ancienne promesse... qui, si je la reniais, me tourmenterait tout l'hiver. Oh! surtout pour cela  Et bien moins pour moi-même.

            Mais voilà qu'en vieil égoïste, je n'ai parlé que de moi tout le long de cette lettre sans penser combien tu es devenue triste en la lisant.

            Et tu te donnes, depuis longtemps, tant de peine pour me rendre du courage, tu m'écris de belles lettres, comme il y a quinze ans, - ensuite nous avons été si inséparables que nous n'avions jamais aucune occasion de nous adresser des lettres.

Je te suis très reconnaissant pour la connaissance accrue que tu as de moi, et la bonté qui en jaillit. Mais d’où vient cette bonté : de l'intelligence ou du coeur ? Il me semble que c'est ton intelligence qui t’a fait me conseiller de revoir Paula Ludwig. Oh ! Comme je voudrais aussi que ton coeur me veuille du bien...

Même si, pendant trois semaines, cela doit te secouer, si cela ne se passe pas aussi bien que d'habitude... Si tu es obligée de voyager, d’arriver ici, etc.... seule.

Si je pars, je prendrai l’un des billets de vacances les plus réduits, qui ne coûte que 350 francs aller retour (3e classe) et n'est valable que trois semaines. Presque pas plus cher que pour aller à Challes.

Si seulement je suis assuré que tu veux mon bien, que tu ne pleureras pas, que tu ne te vengeras pas : je ne vais pas chercher là-bas du bonheur, rien que l'oubli de moi-même !

Alors, je partirai déjà vendredi ou samedi soir : loin de cette tour, où je n'ai dormi qu'une heure, cette nuit ! Mon lieu de destination Fiesole. Je t'écrirai dès que je serai arrivé ; mais auparavant une lettre de toi peut encore m’atteindre à Paris, avec ta bénédiction !

Ci-inclus 800 francs, pour deux semaines à l'Hôtel du Château à 42 francs. Cela met la semaine à 300 francs - Pourboire 350. Pour la dernière semaine, je te ferai encore envoyer de Zurich 600 francs.

Je suis heureux qu’humainement, tu te sentes de nouveau bien, au Château. Je savais que Lévy est un poète.

En ce qui concerne Platon et Spinoza : oui, oui, tu as raison. Je t'envie pour cette sagesse, qui te donne à présent de l'avance sur moi.

Mais lorsque l’âme est malade ?

Tu sais que je n'ai pas l'habitude de gémir. Laisse-moi donc gémir, pour une fois.

Je t’aime beaucoup, beaucoup, et j'ai besoin de toi aussi ! Je me réjouis à la pensée d'un paisible début d’hiver.

Ton Yvan

Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin  5 septembre 1933 ImsL p.208

                                                                                  [Paris 5.9.1933]

PREPARES-TOI A UN VOYAGE EN ITALIE  RENDEZ-VOUS A BOLOGNE  LE 11

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 5 septembre 1933 ImsL p.209/210

                                                                                               Paris 5 septembre 33

Chère Palu                                                                

                                                           la fin de la lettre manque

                                                                      

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 7 septembre 1933 ImsL p.210/211

                                                                                              jeudi 5 heures

                                                                                              Rue des Saint-Pères

                                                                                               [cachet de la Poste 7.9.33]

Chère Palu                                                                

Vient d'arriver ton télégramme d'aujourd'hui 2 heures à la rue des Saint-Pères !

Bravo: Florence lundi 2h53 !

J'arrive par le train.    

à traduire

                                   Je t'aime

                                               Manyana

Télégramme Ivan Goll Zurich à Paula Ludwig Berlin  9 septembre 1933 ImsL p.211

                                                                                  [Zürich 9.9.1933  10h08]

ECRIS A MUNICH ET FLORENCE   REÇOIS UNE MOISSON DE BENEDICTIONS DIVINES  (?)

lettre d'Ivan Goll Florence à Claire à Challes du 13 septembre 1933 MST p.137 à 138

Florence, 13 septembre 1933

Chère Suzu,

            La joie d'être à Florence m'a été gâchée, pendant ces premiers jours, par un très vilain temps de pluie. Depuis longtemps, je n'avais pas vu tomber de pareilles "hallebardes" ! Et les jours précédents, cela se préparait par un temps lourd et un ciel plein de nuages menaçants. Après trois mois de beau fixe et de sécheresse, on ne peut pas dire que c'est de la chance.

            Et pourtant c'était une chance que je sois à Florence, et non, par exemple, à Fiesole  ou au bord de la mer : car ici, il y a un tant à voir, tant d'églises, chapelles et et de musées à admirer chaque jour, que le soleil n'est presque pas nécessaire. C'est une surabondance de trésors d'art, qu'on ne peut pas dénombrer, qu'on ne peut même plus assimiler, à la longue. Un si grand nombre d'artistes doués richement étaient compris, encouragés, aimés par tant de familles remarquables ! Ce qu'on apprend de ce 14e et de ce XVe siècle florentin, c'est la foi dans le grand art authentique, la foi dans la lutte pour cet art, dans l'amour inébranlable pour cet art. Car ici, on peut redevenir pieux.

            Ici, je reprends courage pour affronter notre époque tellement détournée de l'esprit, où l'on aime à regarder des visage souriants de stars, mais non des visages d'hommes et de femmes qui souffrent. Je suis confirmé dans ma certitude que le succès, provenant de cette humanité hébétée, serait pour nous le contraire du succès...

            Tant que le baromètre sera bas, je ne ferai pas de projets, et j'irai voir Giotto, car de lui émane une essence divine, dont on peut aussi espérer recevoir pour soi-même une bénédiction.

            Mais je garde intacte, sur ma tête, ta bénédiction à toi, qui a jailli de tes grands yeux bleus aiguisés, exactement pareils à ceux d'un ange de Giotto.

            Je t'aime beaucoup et je t'en suis si reconnaissant. Tu as raison : dans l'éloignement, on ne fait que se rapprocher de l'être aimé, de l'être de sa vie.

            Comment vas-tu ? J'espère que tu peux suivre ton programme à la lettre - après Challes, qui est certainement très vide en cette saison et dont le silence t'est peut-être agréable, tu devais rester très peu de jours à Paris et repartir aussitôt pour Haybes - en conséquence, j'ai donné aujourd'hui ordre à Zurich de t'envoyer 700 francs qui pourront sûrement suffire pour l'instant, étant donné que tu as déjà ton billet de retour : 350 - 400 Château, 100 pourboires, 200 voyage à Haybes.

            Puisses tu te remettre et te sentir bien et rester mon Aimée.

                                                                                                                             Ivan

Carte d'Ivan Goll Florence à Claire à Challes du 14 septembre 1933 MST p.138

Florence le 14 septembre 33

            Chère Zouzou : j'ai reçu ton télégramme cinq heures après avoir posté ma dernière lettre pour toi, dans laquelle je t'annonçais justement le virement de 700 francs de Zurich. Etait-ce de la transmission de pensée si j'ai justement fait envoyer 700 francs ? En tout cas j'avais donc retourné dans ma tête toutes tes réflexions et plans avec toi. Par même courrier est partie la commande à Zurich. Espérons que d'ici samedi tu seras en possession de l'argent et que tu auras liberté de mouvement. Par contre, la pluie ici ne nous en donne aucunement. ?

                                               Baisers ardents

                                                                       ton Ivan

Ivan Goll est parti pour l'Italie retrouver Paula Ludwig le samedi 9 septembre à Fiésole ou à Florence le 10 septembre et ils y restent jusqu'au 21 ou 22 pour aller à Sienne.

Lettre d'Ivan Goll Florence à Claire à Challes du 17 septembre 1933 MST p.138/139

                                   Florence, 17 septembre 1933

Chère Zouzou,

            Ce matin, j'ai reçu ta lettre bleu-double, attendue avec nostalgie depuis longtemps, et qui contenait ta lettre précédente, de Paris. Oh ! Comme celle-ci m'a ému !

            Quelle transformation tu as subie ! Ta sage maturité résonne harmonieusement à mes oreilles, comme un alto, et je ne l'apprécie certes pas parce qu'elle me facilite l'existence, mais surtout parce qu'elle va si bien à ton nouveau visage. Sans doute, ton âme est toujours un enfant, et elle restera telle, éternellement - car l'âme est la seule chose au monde qui ne vieillisse pas et ne mûrisse pas, l'âme est invariable comme le bleu de l'éther. Et la tienne a la pureté de la brise du matin. Mais ton visage humain a beaucoup pleuré, connu beaucoup de douleur, plus que n'importe quelle autre que je connaisse, et si je l'ai tant aimé autrefois pour ses yeux, qui ont la grandeur et la forme de ceux de la déesse de Giotto, je l'aime encore plus aujourd'hui pour cette expression de savoir qui le domine de plus en plus.

            C'est vrai : pour ce qui est des expériences vécues, je suis réellement encore un petit garçon, et cela me fait tant de bien que tu passes une main caressante à travers mes cheveux, - par lettre, il est vrai, plus que dans la réalité, - et alors je reconnais aussi que cela est de beaucoup le plus important.

            Ainsi tu te mets lentement à jouer le rôle qui m'appartient (à moi !). Mais cela ne veut aucunement signifier que j'ai changé. Je suis un vieux petit garçon, et je devrais en avoir honte, si je n'étais aussi un poète. Mais si j'en suis un, c'est à toi que je le dois et aussi d'être resté si jeune.

            Si tu me connais bien, tu sais que dans ce pays lointain et suprêmement beau, je suis près de toi comme presque jamais je ne l'ai été. Pour le moment, je suis apaisé, mais ce n'est pas le repos de l'accomplissement, comme tu parais le penser, cette une hébétude de mes nerfs, qui semblent être très malades. J'ai éprouvé trop de déceptions, à Paris, depuis le début de l'année, et la crise qui m'a poussé à la fuite - à me fuir moi-même - n'était ni sentimentale, ni érotique, mais presque matérielle. Trop de soucis, trop peu de succès. Pour être en état de supporter l'hiver qui vient, il fallait que j'aie d'abord une détente, et que renaisse en moi le sentiment que je suis quelqu'un ! C'est pourtant ce que je t'ai écrit dans ma dernière lettre de Paris. Pourquoi n'as-tu pas voulu admettre cette interprétation ?

            Florence ne laisse pas le temps de se ressaisir. Peut-être partirons-nous, au milieu de la semaine prochaine, pour une plus petite ville, peut être irons-nous à Sienne. La vie est extraordinairement bon marché. Figues, 50 centimes le kilo, raisins, pêches, le même prix. Mortadelle 50 centimes l'etto, ghirlandais1lire le mètre.

            Cette lettre arrivera probablement à Paris le même jour que toi. Est-ce que Challes t'a fait du bien ? Ne reste pas trop longtemps dans notre appartement, qui n'est pas refait, ne perds pas ton temps et ton argent à le réorganiser : pars vite pour Haybes. Entre-temps, je reviendrai ; je ferai de beaux préparatifs et mettrai tout à neuf pour te recevoir.

                        En éternel amour

                                                           ton

                                                                       Ivlein

Claire est de retour à Paris le 20 septembre

Tu as planté devant ma porte

Un jeune citronnier

Il n'a que deux branches

L'une porte un fruit d'or

L'autre une fleur d'argent

Comment me préfères-tu

Vierge ou mère ?

Sienne 21 septembre 1933

Lettre d'Ivan Goll Sienne à Claire à Paris du 24 septembre 1933 MST p.140/141

                                               Sienne, 24 septembre 33

Chère Souzou,

            Nous voici, depuis quelques jours déjà, à Sienne : une des plus vieilles villes d’Italie, bâtie sur trois collines. On est sans cesse obligé de monter et de descendre. La rue principale n'est large que de 6 m et de hauts palais la bordent, comme une citadelle, - on a l’impression d'être dans une prison. Sans doute, on dit que la ville est environnée du plus beau paysage et des collines les plus séduisantes : mais on ne retrouve pas la sortie, tant que l'on n'est pas initié à ses secrets..

Le jour de mon arrivée, je t'ai écrit, probablement par gratitude pour ta prière sur la terrasse du Château. Les étoiles brillaient. Mais le soleil, jusqu'à présent, n'a pas paru. Pendant des jours et des jours, il a fait gris et brumeux, on sentait se préparer le mauvais temps qui a éclaté hier, avec éclairs et cyclone suivis d'une pluie chaude et persistante.

Ajoute à cela le sentiment d'être muré dans un cachot ! Tu objecteras : mais, à deux, c'est pourtant beau ! Peut-être mais avec du soleil et du clair de lune, ce serait encore plus beau. C'est la première fois que Paula Ludwig vient en Italie et elle n'y trouve que des brouillards nordiques et des tempêtes.

Une autre raison encore de me sentir comme emprisonné, c'est que j'attends en vain une somme que ma promise Apfel. Peut-être dois-je t’expliquer plus en détail les quelques allusions que je faisais sur ma dernière carte.

Ce qui m'a incité à ce départ subit, entre autres choses, c'est la dispute que j'ai eue avec Apfel. Savoir que j'ai perdu tout un été pour lui. Je ne sais plus si je t'ai raconté déjà qu'il m'avait finalement dégradé et réduit aux fonctions de traducteur : ce que je préférais d'ailleurs, ou presque, car de toute façon, et depuis longtemps, je ne voulais pas mettre mon nom. Mais jusqu'à ce jour, mes efforts n'ont servi à rien. Les chapitres Wessel et Kienle n'ont servi à rien Monsieur Apfel se découvre un talent d'écrivain. Bon. Mais qu'ai-je à faire avec ça ? Il exige même que je traduise littéralement jusqu'au plus petit point sur les i de son ennuyeuse prose...

Aussi, tout ce qui m'intéresse encore, c'est l'argent : vingt fois, il m'a proposé de "financer le contrat". Vingt fois, il s'est récusé. Il prétend ne pas avoir d'argent, mais il vit largement et il a des amis qui sont les plus riches de la colonie d'émigrants. Avant mon départ, il m'a promis 2.000 francs, je l'ai prié d'en donner 1000 aux Clauzel, sous prétexte que je n'ai toujours pas payé le loyer, et ceux-ci devaient remettre la somme. Et de m'envoyer le reste en Italie. Rien n'est arrivé encore...

Et toi, de ton côté ? Je suis sans nouvelles depuis huit jours. Dans ta dernière lettre de Challes, tu semblais projeter à nouveau de faire un assez long séjour à Paris. Certainement, tu as vite remarqué que Paris est cher ; est-ce que tu as pu t'en tirer saine et sauve, c'est-à-dire partir pour Haybes ? Mais j'espère encore que tu es vite repartie, que tu n'as pas entrepris tout d'abord de nettoyer l'appartement... Car cela n'en finit jamais plus... et que tu me laisses ce soin, puisque je rentrerai rue Raffet bientôt, avant toi, et que je veux tout préparer pour ta rentrée triomphale.

Oui, oui, chère Suzu, je reviens d'Italie purifié, apaisé, revigoré, et je veux à nouveau te reprendre dans mes bras, toi qui pries avec tant de ferveur. D'ici là, de mon côté, vendredi prochain soir, je prierai pour toi. mon Kol Nitrai * sur une colline d'oliviers.

Je prie ma mère de t'envoyer les 1.000 francs.. Mais économise quelque chose. Le mois d'octobre sera long. La note du téléphone n'était pas encore arrivée ?

Et fais en sorte que j'oublie un peu tous ces soucis et crois en moi, qui redeviens pieux

Ton

Ivan

Carte d'Ivan Goll Sienne à Claire à  Paris du 25 septembre 1933 MST p.141

                                               Sienne 25 Septembre 33 [lundi]

Chère Suzu,

            Merci, merci pour ta lettre du 22 * ; Comme c’est dommage que tu ne puisses pas aller à Haybes ! Essaie donc de le faire. Promets 40 Fr, de pension. Aujourd’hui , le soleil est arrivé avec les cloches de l’angélus d’une douzaine d’églises. L’automne peut devenir beau. Pars donc ! Je te fais envoyer les 1000 Frs de Nancy pour l’usage domestique et privé. Ecris toi-même là-bas qu’ils envoient l’argent plus tôt, et souhaite leur de bien jeûner à Yom Kipour . Ardemment à toi, celui qui est heureux par toi,

                                                                       Ivan

·         Cette lettre est égarée, il n’y en a plus trace.

Carte d'Ivan Goll Paris à Claire à Perouges  du 1 octobre 1933 MST p.142

1 Octobre 33 [Pérouse]

Chère Suzu,

Dernière étape : Pérouse, petite ville authentiquement italienne construite sur une colline, et dans laquelle la chaleur est enfin revenue. Pour ne pas rentrer scandaleusement dépourvu de bronzage, j’ai allongé le voyage de quelques jours  et j’arriverai vraisemblablement samedi à 22 h. à Paris et dans tes bras aimés. Maintenant, je suis depuis si longtemps sans nouvelles de toi : depuis ta lettre du vendredi 22, rien ! Rien de Nancy, rien d’Apfel. C’est sans doute dû à la Poste et je suis très inquiet. S’il se passait quelque chose de particulier, envoie un cable : Pérouse Poste restante.

                                                           Tout à toi, à toi

                                                                                              I.

Que ne suis-je une datte

Brune et nue

Nue et brune

Pour n'être qu'un midi qui brûle

Un désir qui fond

Un parfum pour ton âme

Un miel pour ta langue

Une chair douce douce

A ta chair forte forte

début octobre 1933     II/202

                                              

Ivan revient à Paris le samedi 7 octobre à 22h. où  il  retrouve Claire – qui n’a plus écrit depuis le 22.

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 8 octobre 1933 ImsL p.213

                                                                                              Paris 8 octobre 33

Chère Palu                                                                

                                                                                              Ma

à traduire

Paula Ludwig Marienberghütte à Ivan à Paris 16 octobre 1933 *** IsmL p.214 à 217

Cher Ma

                                                                                              Palu

correspondance à traduire (superbe lettre d'amour)

            

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 18 octobre 1933 ImsL p.217/218

                                                                                              Paris 18 octobre 33

Chère Palu                                                                

                                                                                              Ma

Seul Saint - François doit te rendre visite

à traduire

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 23 octobre 1933 ImsL p.218

                                                                                              Paris 23 octobre [1933]

Chère Palu

                                                                                              Ma

à traduire

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 26 octobre 1933 ImsL p.218

                                                                                              Paris 26 X. 33

Chère Palu

                                                                                              Ma

à traduire

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 4 novembre 1933 ImsL p.219

                                                                                              Paris 4 XI. 33

Chère Palu

                                                                                              Ma's

à traduire

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 7 novembre 1933 ImsL p.220/221/222/223

                                                                                              Paris 7 novembre 33

Chère Palu

                                                                                              Ma

à traduire ***

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 10 novembre 1933 ImsL p.223

                                                                                              Paris [10.11.33]

Chère Palu

Lucifer vit.

Dans sa nouvelle armure. Dans l'éclat de Vénus. Avant la fin du mois, il se présente dans un manteau vert pour toi. L'éditeur était très amical et prend tous les frais à sa charge.

Un salut de l'Hôtel Studio qui me faisait signe en passant sans m'arrêter

                                                                                              Ma

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 16 novembre 1933 ImsL p.224

                                                                                              16.11.33 Paris

Chère Palu

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 23 novembre 1933 ImsL p.224/225

                                                                                              Paris 23 novembre 33

Chère Palu

Ma chambre est totalement devenue une vallée de pins. Une fenêtre est entièrement devenue verte.                  

                                                           Manyana

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  5 décembre 1933 ImsL p. 225/226

Chère Palu       

                                                           Ton

                                                                       Ma

traduire

                                                           Manyana

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  20 décembre 1933 ImsL p. 227/228

                                                                                  Paris 20 décembre 33

Chère Palu       

                                                           Ton

                                                                       Ma

Adresses amitiés pour tout 321

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Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  31 décembre 1933 ImsL p. 228/229/230

                                                                                  Paris 31 décembre 33

Chère Palu       

                                                           Yvan

Ton anxiété sur la catastrophe de chemin de fer  comme celle-là m'affecte aussi.

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[1] Die Deutshe Bühne, de Berlin

[2] Paul Bildt, comédien et metteur en scène du Deutschen Theater et du Staatlichen Schauspielhaus Berlin

[3] Vossischen Zeitung : Plusieurs poèmes de "Malaiische Liebeslieder" d'Iwan Goll ont été publiés dans cette revue entre 1932 et 1934

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Commentaires
A
felicidades por todo este contenido maravilloso, estoy enamorada de esta mujer desde que leí sus memorias.
correspondance des Goll
  • Yvan Goll Claire Studer-Goll avec Rainer Maria-Rilke Marquis de Casa-Fuerte André Breton Audiberti Jean Follain Paula Ludwig Saint-John Perse Alain Bosquet Marcel Raymond Alfred Döblin Paul Celan et divers…
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